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SIMON.

— Laissez-moi tranquille, laissez-moi jouir de la vie ; je vous donne tous au diable ! Je ne veux pas entendre parler d’affaires quand je dîne.

Cependant, si quelque lucrative occasion se présentait, ou s’il s’agissait de rendre service à un ami, maître Parquet revenait à la raison comme par enchantement. Toujours sage dans sa conduite et entendant bien ses intérêts, toujours bon et prêt à se dévouer pour les siens, il passait des fumées du souper aux subtilités de la chicane avec une aisance merveilleuse. Quelques-uns de ceux qui ne le connaissaient qu’à demi, le croyaient égoïste, parce qu’ils le voyaient sensuel. Ils ne saisissaient qu’un côté de cet homme richement organisé pour jouir de la vie, jaloux d’associer les autres à son bonheur, et prêt à quitter les douceurs du coin du feu, afin d’avoir la volupté d’y revenir, le cœur rempli du témoignage d’une bonne action. C’est ainsi qu’il était épicurien, disait-il gaiement. Il pratiquait en grand la doctrine.

Du reste, quand il avait affaire aux fripons ou aux ladres, c’était le plus fin matois et le plus impitoyable écorcheur qu’eut jamais enfanté son ordre. Autant il se montrait modeste et généreux envers les pauvres, autant il rançonnait les riches. À l’égard des avares, il était sardonique jusqu’à la cruauté. Il avait coutume de dire que l’argent du pauvre n’avait pour lui qu’une mauvaise odeur de cuivre, mais le cuivre même du mauvais riche avait une couleur d’or qui l’affriandait.

Ce n’était donc pas par déférence pour son rang ni par pur esprit d’hospitalité, qu’il se faisait l’homme d’affaires et l’aubergiste du comte de Fougères. Sans flatter ses travers, il avait le bon goût de ne point les choquer, et disait tout bas à sa fille que cet homme devait avoir les poches pleines de sequins de Venise, dont il ne lui serait pas désagréable de connaître l’effigie. Bonne, dont le rôle était plus désintéressé, regardait comme un point d’honneur de recevoir convenablement ses hôtes, et surtout de montrer à Mlle Fougères qu’elle possédait à fond la science de l’économie domestique. La candide enfant s’imaginait que, dans toutes les positions de la vie, les soins du ménage sont la gloire la plus brillante de la femme. Mais, hélas ! la jeune étrangère ne s’apercevait pas seulement de la manière dont le linge était blanchi et parfumé. Elle n’accordait pas la plus légère marque d’admiration à la cuisson des confitures. Elle