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faire les honneurs, ce dont elle s’acquittait avec une politesse froide et silencieuse. Elle n’accompagnait pas son père dans ses fréquens voyages, et restait enfermée dans sa chambre avec des livres, ou montait à cheval, escortée d’un seul domestique. Quelquefois elle venait à Fougères, faire une visite à Mlle Parquet, ou donner un coup d’œil rapide aux travaux du château. Il lui arrivait parfois alors de sortir avec Bonne, pour faire une promenade à pied dans la montagne, ou même de s’enfoncer dans les ravins, à cheval, et entièrement seule.

Simon, qui, malgré le froid et les glaces, continuait son genre de vie errante et rêveuse, la rencontra quelquefois dans les lieux les plus déserts, tantôt galopant sur le bord du torrent avec une hardiesse téméraire, tantôt immobile sur un rocher, tandis que son cheval fumant cherchait, sous le givre, quelques brins d’herbe aux environs. Lorsqu’elle était surprise dans ses méditations, elle se levait précipitamment, appelait son cheval, qu’elle avait dressé comme un chien à venir au nom de Sauvage, lui ordonnait de se tendre sur les jambes afin qu’elle pût atteindre à l’étrier sans le secours de personne, et, se lançant au milieu des rochers ou sur le versant glacé des collines, elle disparaissait avec la rapidité d’une flèche. Ces rencontres avaient un caractère romanesque qui plaisait à Simon, quoiqu’il n’y attachât pas plus d’importance que ces petits incidens ne méritaient.

Cependant, malgré le sentiment d’orgueil qui l’empêchait de s’abandonner à l’attrait d’une beauté placée hors de sa sphère, et destinée sans doute à n’avoir jamais pour lui qu’un dédain insolent, s’il essayait de franchir la ligne chimérique qui les séparait, Simon ne pouvait défendre son imagination d’accueillir un peu trop obstinément l’image de cette personne fantastique. C’était une si belle créature, que tout être doué de poésie devait lui rendre hommage, au moins un hommage d’artiste, calme, désintéressé, sincère ; et Simon était plus poète et plus artiste qu’il ne croyait l’être. Peu à peu cette image devint si importune, qu’il désira s’en débarrasser, et appeler à son secours l’impression pénible qu’elle lui avait faite au premier abord. Il chercha un motif d’antipathie à lui opposer, et fit des questions sur son compte, afin d’entendre répéter qu’elle semblait hautaine et froide. En outre, on blâmait beaucoup dans le pays ses courses à cheval et son genre de vie solitaire. En