Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/189

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
185
SIMON.

— Voulez-vous bien me faire le plaisir de l’enlever de terre d’un demi-pouce ? répondit l’autre jeune fille d’un air de défi.

— Je vais vous montrer comment il faut vous y prendre, dit Fiamma sur le même ton ; car vraiment, ma mignonne, vous n’y entendez rien, et vous me faites peine.

Alors, saisissant d’une seule main le seau rempli d’eau, elle l’enleva de terre et le posa sur la table.

— Oh ! la force et le courage du lion de Venise ! s’écria Simon avec chaleur.

Bonne fut un peu piquée.

— Ne vous fâchez pas, cher ange, dit Fiamma à son amie ; la prudence des serpens et la douceur des colombes vous restent en partage. Mais quant à cela, ajouta-t-elle en étendant son bras blanc et ferme comme du marbre de Carrare, sachez qu’il y a autant de différence entre mes muscles et les vôtres qu’entre vos collines de la Marche et nos montagnes des Alpes, entre vos petites graines de sarrazin et nos larges épis de maïs. Allons, Bonne, c’est vous qui êtes la dogaresse ; je suis la montagnarde : c’est moi qui suis Marthe à mon tour ; vous êtes Marie. Le Seigneur vous bénira ; je vous cède mes droits. Mais chut ! voici Mme Féline, ne disons pas de légèretés sur des choses aussi saintes ; elle nous gronderait et elle ferait bien.

Tandis que Simon se condamnait à déjeuner, quoiqu’il fût trop oppressé pour en avoir envie, que Bonne, assise à table entre lui et Mme Féline, feignait d’écouter la relation de son voyage avec curiosité, afin d’avoir le droit de lui verser du cidre et de lui couper du pain d’orge ; tandis que Mlle de Fougères jouait avec Italia, et luttait avec elle d’attitudes impérieuses en la contrefaisant et en imitant ses cris d’impatience, M. Parquet entra dans la chaumière.

Bravi tutti ! s’écria-t-il en voyant cette aimable compagnie ; le ciel est favorable aux braves gens. — Et après avoir embrassé tendrement son filleul, il baisa la main de Mlle de Fougères avec assez de grace pour montrer qu’il avait été faire un tour de promenade à Versailles dans sa jeunesse. Puis, jetant un coup d’œil perspicace de l’un à l’autre : — Y a-t-il long-temps que vous n’avez reçu de nouvelles de monsieur votre père, belle demoiselle ? demanda-t-il à Fiamma d’un air très significatif.

Cette question fut pour Simon comme une goutte d’eau froide sur un brasier. Il était en train de se laisser aller à de nouveaux