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« C’était en l’an 1386 que la grace de Dieu se manifesta à nous d’une manière miraculeuse. Le jour de fête de saint Cyrille, il protégea les confédérés, comme je vais vous le dire et vous le chanter[1]. »

Il raconte ensuite comment les armées arrivent en présence l’une de l’autre, comment l’action s’engage, et quand la victoire est décidée, il compte les morts et les mourans, tous les objets perdus par l’ennemi, comme par exemple dans ce chant de la bataille de Grandson :

« Les confédérés trouvèrent beaucoup d’or et beaucoup d’argent. Ils trouvèrent un fauteuil tout en or, et ce qui les réjouit surtout, ce fut de découvrir quatre cents bonnes carabines et des chaînes en fer.

« Le duc perdit aussi son sceau. On trouva une étoffe en soie avec des couronnes de perles ; on trouva dans le sang une chasuble, une mitre d’évêque avec des ostensoirs en or. Et son épée en or, garnie de diamans, il la perdit aussi. Jamais, depuis que la Bourgogne guerroye, elle ne subit un affront plus amer. »

Dans le chant de la bataille de Morat, le poète raconte avec une joie cruelle le désastre des ennemis.

« La bataille s’étendit à deux milles à la ronde ; à deux milles à la ronde, la puissance du duc fut vaincue et anéantie, et la mort de nos frères d’armes massacrés à Grandson fut vengée avec du sang à deux milles à la ronde.

« Combien d’ennemis tua-t-on ? On ne sait pas au juste. Moi j’ai entendu dire que de soixante mille il en fut tué ou noyé vingt-six mille.

« Et croyez-moi sur ma parole. Nos confédérés ne perdirent pas plus de vingt hommes, ce qui montre bien que Dieu protége jour et nuit les hommes hardis et pieux[2]. »

Quelquefois le poète se complaît dans l’énumération des troupes confédérées, et l’on dirait d’une page d’épopée antique transportée dans un chant suisse :

« Alors on vit venir les hommes pleins de force de Fribourg ; chacun se plaisait à les voir si bien armés ; car c’était une troupe brillante, et partout où ils passaient, le peuple voulait les observer.

« Alors Willingue la vieille, portant ses couleurs bleue et blanche, et Waldshut avec ses hommes noirs. Puis vint aussi Lindau avec ses couleurs verte et grise ; et Bâle avec maint guerrier intrépide.

« Là, se trouvaient aussi les Souabes et beaucoup d’autres villes, telles que Meinssett et Rotwill qui s’étaient parées. Quand on jetait les yeux vers Schaffouse, on apercevait aussitôt Constance et Ravensburg.

« Puis Zurich apparaît, et Schwytz, Berne, Soleure, Francsfeld, et tous

  1. Chant de Sempach.
  2. Chant de Morat, par Veit-Weber.