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humblement le secours du ciel. Ils ont confiance en eux-mêmes, et leurs chants populaires mêlent au récit pompeux de leurs succès l’ironie amère contre leurs ennemis vaincus : « Ah ! s’écrie-t-il, les pauvres Bourguignons ! Les voilà qui, pour se sauver, grimpent sur les arbres, pareils à des oiseaux privés de nourriture. Mais on les tue comme des corbeaux. On leur donne des coups de lance, et ils tombent par terre ; car leurs ailes ne peuvent se mouvoir, et le vent ne les aide pas[1]. »

Quand la tête de Pierre de Hagenbach tomba sous la hache du bourreau, une jeune fille se mit à chanter auprès du cadavre la chanson que son amant lui avait apprise, et les enfans s’en allaient dans les rues, parodiant ainsi le vieil hymne pascal de l’Allemagne[2].

« Le Christ est ressuscité. Le gouverneur est pris. Réjouissons-nous tous. Sigismont sera notre consolateur. Kyrie Eleison. »

Dans la guerre de Souabe, cette poésie populaire de la Suisse subit encore une nouvelle transformation. Elle s’asseoit au bivouac, elle se mêle à l’orgie du cabaret ; elle devient insolente et grossière. Ce ne sont plus les chants simples et chastes de Sempach, c’est le chant effronté du lansquenet. Après cela vient le pamphlet politique et religieux du xvie siècle ; pamphlet ardent et plein de colère qui, de son souffle envenimé, flétrit le rhythme et le vers et les images qu’il emploie. Puis, la poésie populaire s’en va, peu à peu, avec les années qui se succèdent et les changemens qu’elles amènent dans la société. Le peuple devient positif et raisonneur. Il ne croit plus, il discute. Parlez-lui des merveilleuses fictions du temps passé, il secoue la tête d’un air incrédule. La poésie l’a entouré de prestiges dans son enfance. Devenu vieux, il la dédaigne. Les rêves d’or de l’imagination sont morts dans son ame. Les rêves matériels les remplacent. L’histoire de ses pères ne lui apparaît plus que comme une lueur effacée dans un vague lointain, et leurs chants héroïques s’éteignent au milieu du bruit de l’atelier, ou des discussions politiques.

La plupart des poètes qui ont légué à la Suisse tant de chants traditionnels sont restés complètement inconnus. Ils ne faisaient point de leur œuvre un objet de vanité littéraire. C’était assez pour eux de chanter les hauts faits de leurs concitoyens, et le triomphe de leur patrie[3]. Quelques-uns ce-

  1. Chant de bataille de Morat, 1476.
  2. C’est cet hymne que Goëthe a reproduit avec tant de bonheur dans Faust :

    Christ ist erstanden !
    Freude dem sterblichen.

  3. C’est une des particularités de tous les ouvrages de poésie vraiment populaires que les auteurs en restent d’ordinaire inconnus, ne se nommant presque ja-