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DES GRANDES ÉPIDÉMIES.

Les auteurs ne font d’ailleurs mention d’aucune circonstance particulière relative aux alimens, à l’air ou aux eaux. On sait seulement que cela arriva dans le temps que ce Hugues, comte de Paris, faisait la guerre à Louis d’Outremer, et après les courses des Normands, qui avaient plusieurs fois pillé et saccagé le territoire de Paris.

C’est à la même époque que Félibien rapporte une ancienne charte de l’église de Notre-Dame de Paris, par laquelle on établit qu’on allumerait six lampes toutes les nuits devant l’autel de la Vierge, en mémoire de cet évènement.

Rodolphe dit (dans son livre des Incendies) qu’en 993 il régnait une mortalité parmi les hommes. C’était, dit-il, un feu caché, qui, dès qu’il avait atteint quelque membre, le détachait du corps après l’avoir brûlé. Plusieurs éprouvèrent l’effet de ce feu dans l’espace d’une nuit.

Depuis la fin du xie siècle, c’est-à-dire depuis 1090 jusqu’au commencement du xiie, on observa en France les plus fortes attaques de cette maladie. On sait que c’était le temps de la plus grande ferveur pour les croisades ; qu’on abandonnait tout pour aller se signaler dans la Terre Sainte ; que les guerres civiles continuelles et les courses des ducs de Normandie rendaient la partie septentrionale et la partie moyenne de la France le théâtre d’une infinité de misères de toute espèce, parmi lesquelles le mal dont il est question était peut-être un des moindres. La France se dépeuplait sensiblement ; les champs, l’agriculture, étaient abandonnés. Presque toute la France, le Dauphiné principalement, se ressentit de la maladie dont on parle : c’est ce qui détermina le pape Urbain ii à fonder l’ordre religieux de Saint-Antoine, dans la vue de secourir ceux qui en étaient atteints, et à choisir Vienne en Dauphiné pour le chef-lieu de cet ordre. Cette fondation eut lieu l’an 1093. Vingt-cinq ans avant, le corps du saint de ce nom avait été transporté de Constantinople en Dauphiné, par Josselin, seigneur de La Mothe-Saint-Didier.

On croyait généralement, dans le xie et le xiie siècle, que les malades qu’on conduisait à l’abbaye Saint-Antoine, où reposent les cendres de ce saint, étaient guéris dans l’espace de sept ou neuf jours. Ce bruit, généralement répandu en Europe, attirait à Vienne un grand nombre de malades, dont la plupart y laissaient quelque membre. On trouve dans l’histoire des ordres monastiques qu’en 1702 on voyait encore dans cette abbaye des membres desséchés et noirs, qu’on conservait depuis ce temps.

L’auteur de la vie d’Hugues, évêque de Lincoln, dit qu’il vit de son temps, au Mont Saint-Antoine, en Dauphiné, plusieurs personnes de l’un et de l’autre sexe, des jeunes et des vieux, guéris du feu sacré, et qui