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Mais, oublié des gens qui m’avaient bien connu,
Et s’informaient entre eux de ce nouveau venu,
Je restais, comme une ombre, immobile à ma place,
Muet, ou pour pleurer les deux mains sur ma face.

À la communion quand le prêtre arriva,
Offrant le corps du Christ, mon front se releva.
Les hommes, les enfans et les femmes ensuite
Marchèrent lentement vers la table bénite ;
Et, comme en un festin où beaucoup sont priés,
Les mets sont tour à tour servis aux conviés,
Dès qu’un communiant avait reçu l’hostie,
Du ciboire sortait la blanche Eucharistie.
Seul encor je n’eus point ma part de ce repas :
Mais quand, les yeux baissés et murmurant tout bas,
Les femmes s’avançaient vers la douce victime,
J’essayai de revoir (Seigneur, était-ce un crime ?)
Celle qui près de moi, dans notre âge innocent,
Mangea de votre chair et but de votre sang.
Je ne la nomme plus ! Mes yeux avec tristesse
La cherchèrent en vain cette nuit à la messe ;
Dans la paroisse en vain je la cherchai depuis,
Elle a quitté sa ferme et quitté le pays !
Mais son sort, quel qu’il soit, m’entraînera moi-même,
Car, les deux bras ouverts, je poursuis ce que j’aime.

Terminons, il le faut, ce récit du passé,
Que je reprends toujours après l’avoir laissé.
Enfin la messe dite, et, vers la troisième heure,
Lorsque les assistans regagnaient leur demeure,
Mon hôte m’appela : « Quelque chose au retour
Nous attend, disait-il, sur la pierre du four.
— Hâtons-nous ! hâtons-nous ! disait la jeune femme. »
Or, tant d’émotions fermentaient dans mon ame,
Qu’au détour d’un sentier, soudain quittant Daniel,
Par la lande j’allai tout droit vers Ker-rohel ;
Et de ces hauts rochers où brillait la gelée,
À mes pieds regardant le Skorf et sa vallée,