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gea un instant ; c’était une position délicate que la sienne vis-à-vis de Jeanne. Il était facile de voir dans les traits et dans les manières de la vieille femme qu’elle avait deviné récemment le secret de son fils, et qu’elle croyait ses douleurs sans remède.

— C’est le jour des départs, lui dit tout d’un coup Fiamma, sans paraître comprendre l’importance de celui de Simon. Mon cousin vient de partir tout à l’heure !

— De partir ! sainte Vierge ! s’écria la vieille femme avec la vivacité de l’amour maternel, votre cousin est parti, chère demoiselle ? chère enfant ! et comment donc si vite ?

— C’est un petit secret que je ne veux confier qu’à vous, ma chère vieille mère, répondit Fiamma ; et approchant son escabeau de la chaise de Jeanne, elle lui parla ainsi en baissant la voix d’un petit air mystérieux. — Vous saurez que le cher cousin s’était mis en tête de m’épouser.

— Je le savais bien, interrompit Jeanne, nous en parlions avec Simon tous les soirs…

— Vous en parliez ? qu’en disait-il ?

— Il me demandait s’il ne me semblait pas que ce jeune homme fut amoureux de vous, et s’il était possible que, la chose étant, vous ne vous en aperçussiez pas… je vous demande pardon de nos réflexions, ma petite, cela ne nous regardait pas ; mais moi je vous aime tant que je ne puis me lasser de parler de vous et d’y penser.

— Eh bien ! mère Féline, vous ne vous trompiez pas, si vous supposiez que je m’en étais aperçue. Il y avait huit jours que je savais le beau secret de mon cousin et que je m’attendais à une déclaration, lorsque j’ai trouvé l’occasion de prévenir ses frais d’éloquence et de lui déclarer, moi, que je ne voulais me soumettre ni à l’amour, ni au mariage.

— Il paraît que vous avez parlé clairement et prononcé sans appel, puisqu’il est parti tout de suite ?

— Une heure après ! voyez comme l’amour est chose facile à guérir ! À l’heure qu’il est, je suis sûre qu’il est à l’auberge de Guéret et qu’il se regarde dans un beau miroir de poche pour s’assurer que l’air de nos montagnes n’a pas altéré la fraîcheur de ses lèvres et la rondeur de ses joues. — Mais pourquoi secouez-vous la tête, mère ? On dirait que, dans votre jugement, l’amour est une chose plus sérieuse que cela ?