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Puisque nous nous sommes permis de faire intervenir dans cette affaire le mont Sinaï, nous pouvons bien sans inconvéniens poursuivre la métaphore, et dire que jamais le vieil apologue de la montagne en travail n’eut une plus solennelle application : le statut royal, nous en demandons bien pardon à ses auteurs, est le véritable ridiculus mus. Il ne valait certainement pas la peine de se poser si haut, ni d’affecter tous ces grands airs, pour mettre au jour une création si pauvre. Il n’est pas de si mince expéditionnaire qui n’en fît autant en vingt-quatre heures. Le statut n’est, comme chacun sait, qu’une assez méchante copie de la charte sacramentelle des Anglais ; c’est la fameuse machine aux trois rouages, ni plus ni moins.

Nous nous trompons, il y a de plus une hérésie énorme dans la composition de la chambre haute, et de moins beaucoup de choses et des meilleures. L’hérésie est celle-ci : les pairs ou proceres sont divisés en deux classes, les pairs par droit de naissance qui sont héréditaires, les pairs élus par la couronne, qui sont à vie ; l’anomalie est frappante : on veut un corps qui ait de l’unité, de l’harmonie, et on le compose de deux élémens rivaux et tout-à-fait hétérogènes ; on crée dans son sein deux intérêts contraires, c’est-à-dire qu’on y institue une anarchie permanente. Une autre hérésie bien autrement exorbitante, est celle qui frustre les deux chambres du droit de faire elles-mêmes leur réglement intérieur ; c’est la couronne qui le leur impose. Bien plus, comme l’initiative législative réside entièrement dans le pouvoir royal, les cortès ne sont guère en droit qu’une manière de conseil d’état, un corps consultant.

Il y aurait bien d’autres imperfections à signaler dans l’enfant politique du ministère Martinez ; mais ce serait peine perdue, car il n’est pas né viable ; au premier pas un peu ferme que fera la révolution, il tombera en poussière sous ses pieds.

Quant aux formes électorales, il serait encore plus inutile de les discuter, car elles sont à la veille de subir une refonte totale ; nous voulons seulement relever en passant une méprise dans laquelle on est tombé ; on a regardé en France comme très libérale la disposition qui remet aux mains du pouvoir municipal une large part de l’élection ; on ignore qu’aujourd’hui en Espagne le pouvoir municipal émane presque entièrement du roi, et que dans les rares localités où il s’est conservé libre, il constitue, un corps privilégié,