Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/306

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
302
REVUE DES DEUX MONDES.

sinon creusé, du moins laissé creuser sous ses yeux ce gouffre insatiable où l’Espagne voit s’engloutir ses trésors, ses armées, son avenir.

Un évènement tout-à-fait imprévu vint encore compliquer les choses ; don Carlos, qui avait paru quelque temps sur la frontière de Portugal, avait quitté l’Espagne. On ne doutait pas à Madrid qu’il n’eût abandonné la partie, qu’il ne se fût enfin résigné à l’exil du trône ; on le croyait tranquille au fond de l’Angleterre ; on s’applaudissait d’une victoire si peu espérée, tout à coup il reparut comme par un enchantement au cœur de la Navarre. Ce coup de théâtre ouvre le mois de juillet. C’est là encore une de ces péripéties moitié sérieuses, moitié plaisantes, dont l’histoire contemporaine de la Péninsule est si riche, et qui lui donnent parfois une physionomie si dramatique. La présence du prétendant sur le sol espagnol donna à la guerre du prestige et de l’éclat. Elle prit dès lors un caractère imposant ; l’Europe n’a plus cessé d’avoir les yeux sur elle.

Cependant nous allons, nous, en détourner les nôtres, afin de les reporter sur Madrid. Un nouveau personnage vient d’y entrer en scène. Son nom n’a pas figuré jusqu’ici ; mais il s’en vengera bien ; il figurera souvent dans la suite. Ce nouvel acteur est le comte de Toreno.

Né dans les Asturies, la terre des publicistes et des hommes d’état, la patrie des Jovellanos et des Campomanès, le comte de Toreno parut destiné à poursuivre à plusieurs égards la tradition de ses illustres compatriotes. Il est du même âge que M. Martinez de la Rosa ; leurs antécédens sont à peu près les mêmes. Comme le poète de Grenade, le gentilhomme asturien fit partie des cortès de 1812 ; les réactions l’exilèrent, la révolution de 1820 le rappela. Il reprit alors sa place dans l’assemblée nationale, et y acquit bientôt une grande influence, surtout sous le ministère Argüelles. Cependant il fut accusé de tiédeur. On ne retrouva pas, à Madrid, le député jeune et ardent de l’île de Léon. Il se peut qu’il ait prévu dès l’abord la catastrophe qui allait si tôt clore ce rapide intermède, et ce sentiment de provisoire fut peut-être ce qui lui glaça la langue et le cœur. Il n’en fut pas moins exilé une seconde fois. Il se retira à Paris, où nous n’avons pas à le suivre.

Il rentra en Espagne vers la fin de 1833. C’était pour M. Marti-