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HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.

core prononcer ce mot sans anachronisme. L’église elle-même, qui était jusqu’ici son refuge, depuis que la littérature païenne avait complètement cessé d’exister, l’église aussi s’est faite barbare. Il ne reste plus que les cloîtres, les cloîtres qu’une destinée vraiment merveilleuse a fait surgir au moment où la barbarie se répandait partout, pour qu’il y eût au moins un asile contre elle ; cet asile est loin de défendre complètement ceux qui s’y réfugient. Les barbares y entrent aussi, mais enfin il se conserve là quelques livres ; il y a là encore quelques hommes qui lisent. Là subsiste aussi quelque besoin d’imagination ; et comme l’imagination est une faculté indestructible qui ne manque jamais à aucun âge de l’espèce humaine, si disgracié qu’il soit, elle survit encore à cette dispersion désastreuse de tous les élémens de la civilisation ; l’imagination enfante un genre littéraire nouveau, c’est la légende. La légende existait, mais c’est depuis qu’on est devenu tout-à-fait étranger aux souvenirs classiques, depuis qu’il n’y a plus moyen pour l’ame humaine de se prendre à ce passé qu’elle ne sait plus, c’est depuis lors qu’elle s’attache à ce merveilleux nouveau, né dans les cloîtres, et qui a enfanté toute une littérature. Cette littérature légendaire peu connue et digne de l’être nous arrêtera.

Ce temps si triste, le plus triste de tous ceux que nous avons à traverser, ce temps qui comprend le viie et le commencement du viiie siècle, nous offrira un autre spectacle, fait pour nous consoler et nous soutenir un peu, c’est celui des missionnaires, des grands missionnaires de cette époque, qui portent le christianisme et en même temps la civilisation chez les peuples germaniques. Il y a là des biographies d’hommes infiniment remarquables, dont le rôle a été immense, dont le courage était aussi grand que ce rôle.

Tel est l’Irlandais Colomban, au milieu de ces princes farouches de la famille mérovingienne, luttant contre Frédégonde, et ne se laissant pas intimider par elle ; tel est saint Gall, allant défricher les forêts de la Suisse, et, comme le raconte naïvement son biographe, trouvant le soir, établi dans la caverne qu’il s’était choisie pour cellule, un ours, propriétaire avant lui de ces lieux, le chassant par un mot, car le merveilleux est dans toutes ces histoires ; mais à côté du merveilleux il y a un sens historique profond dans la destinée de ces hommes qui vont disputer les forêts aux animaux sauvages et qui les en chassent, qui reprennent sur eux les forêts et les rendent