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importante, que l’auteur discute dans sa préface et qu’on peut discuter avec lui, avant de voir comment il l’a résolue dans son poème. Tous les grands conquérans, les illustres guerriers fondateurs d’empire, ont été dans tous les temps matière à épopée, c’est-à-dire à des récits plus ou moins merveilleux, lesquels, accueillis, grossis par la bouche des peuples, colportés par des chanteurs toujours écoutés :


Pugnas et exactos tyrannos
Densum humeris bibit ore vulgus,


se sont quelquefois résumés et fixés en œuvre durable sous la main d’un poète de génie. Achille, Alexandre dans l’antiquité ; dans le moyen-âge Attila, Charlemagne sont dans ce cas, César à Rome, Louis xiv chez nous[1], ont échappé à cette légende épique qui tend à se former, comme un nuage, autour du front des grands dominateurs ou conquérans, pour les hausser encore. La raison en est manifeste : les grands individus, venus à des époques très éclairées, se sont trouvés de toutes parts entourés et suivis de récits exacts, circonstanciés, de mémoires, de commentaires. Or, Napoléon, parmi nous, n’est-il pas précisément dans cette situation de Louis xiv et de César ? M. Quinet, il est vrai, dit à merveille dans sa préface : « L’époque la plus riche assurément que l’histoire romaine ait présentée à l’épopée est celle où le monde antique parvint à sa plus haute unité sous la puissance du premier des Césars. Que l’on essaie de se figurer, dans la langue prophétique du 6e livre de l’Énéide, tous les intérêts du monde antique rassemblés sur la limite de l’antiquité et des temps modernes, tant de peuples encore primitifs se groupant, avec leurs cultes et leur génie, autour de la louve romaine, dans l’attente du christianisme ; les Gaulois, les Bretons, les Germains nouvellement découverts ; en Orient, les Parthes, les Numides, les vieux et nouveaux empires ; et au faîte de tout cela, César, à l’œil de faucon, portant dans son génie réfléchi tout le génie des temps modernes ; et que l’on dise si l’épopée ne s’est pas trouvée là. Lucain en eut le pressentiment ; par malheur, il fut embarrassé par la guerre civile. La

  1. J’omets Henri iv, dont le renom populaire tenait surtout du jovial, du galant, et prêtait plus à la chanson ou à la comédie qu’à l’épopée.