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M. Auber a écrit une œuvre en dix-huit jours, ce qui m’étonne, c’est qu’il ait mis tant de temps à la faire. Lorsqu’il s’agit d’une facilité semblable, toute chose paraît possible ; je croirais volontiers quelqu’un qui m’affirmerait que M. Auber a composé un opéra en dormant et l’a trouvé tout écrit à son réveil ; mais, par exemple, j’avoue que je n’accueillerais pas avec autant de confiance un homme qui me conterait une pareille histoire de Beethoven. Quoi qu’il en soit, cette facilité dont M. Auber a tant de fois abusé d’une déplorable façon, donne souvent à sa musique cette apparence mélodieuse qui en fait la fortune. Si M. Auber n’avait d’autre mérite que celui d’écrire une partition en quinze jours, et de combiner laborieusement les ressources instrumentales selon les règles de la scolastique qui s’apprend au Conservatoire, M. Auber passerait à juste titre pour un musicien vulgaire, et certes il s’en faut de beaucoup que cela soit. L’auteur du troisième acte de la Muette n’est pas un homme à confondre avec les imitateurs ordinaires de l’école italienne. Les compositions de M. Auber, écrites avec simplicité, mais toujours avec élégance et correction, portent en elles quelque chose d’ingénieux, de vif, de pétulant et de français, qui les rehausse et les distingue de tout ce qui les entoure ; et cette originalité d’afféterie (car c’en est une) appartient en propre à M. Auber. Nulle part ces qualités dont je parle n’abondent plus que dans cette petite pièce d’Actéon.

La Muse de M. Auber n’aime ni les bois druidiques ni les grands horizons, ni les solitudes profondes ; elle se perdrait dans les palais de marbre de Babylone ou de Venise ; il lui faut un petit jardin entouré d’une haie de rosiers, une petite chambre bien close ; plus le sujet s’amoindrit, plus elle devient heureuse. Aussi c’est merveille comme elle se trouve à son aise dans Actéon, qui est un vrai bijou d’opéra comique. Il faut voir Mme Damoreau jouer cela avec une gentillesse extrême ; il faut entendre cette voix si flexible s’épuiser en gazouillemens inouis, en folles cadences, en trilles merveilleux, et dépenser des richesses sans nombre, avec une insouciance qui épouvante les chanteuses ordinaires de l’endroit ; pour comprendre combien ces deux talens sont étroitement liés l’un à l’autre, combien la voix de Mme Damoreau est sœur de la musique de M. Auber, et combien elles doivent toutes les deux s’aimer et s’appeler sans cesse. — Actéon était destiné d’abord à l’Académie royale de Musique ; les anciens directeurs, hommes de tant de goût, en avaient deviné le succès et l’auraient représenté immédiatement après le grand ouvrage de M. Meyerbeer, dont les répétitions vont se prolongeant toujours ; par malheur les évènemens en ont autrement disposé ; je dis par malheur, car, en passant de la rue Lepelletier au théâtre de la Bourse, l’opéra de M. Auber a dû renoncer à ses plus charmans effets de mise