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REVUE. — CHRONIQUE.

en scène. Les belles filles de l’Opéra, avec leur taille haute et svelte et leur jarret si souple, auraient fait meilleure contenance sans doute que ces pauvres figurantes qui semblent tout étonnées de se voir si nues et grelottent de froid et de pudeur sous la peau de tigre des nymphes de Diane. Mais, après tout, qu’importe ? l’ouvrage de M. Auber devait suivre la fortune de sa cantatrice, et pour peu que l’on veuille y réfléchir, on verra que ce qu’il a perdu est chose bien chétive auprès de ce qu’il pouvait perdre.

Je le répète, ce qui fera le succès d’Actéon, c’est Mme Damoreau.

Mme Damoreau est à l’Opéra-Comique comme la prima donna dans les théâtres d’Italie ; tant qu’elle parle ou chante, on écoute, on applaudit, on se passionne ; sitôt qu’elle se retire et laisse la place au ténor, toutes les têtes rentrent dans les loges, les causeries reprennent leur cours, et l’on oublie Actéon, pour les bals de lord Granville, et les soirées de M. le duc de Fitz-James. Ce sera une nouvelle gloire à Mme Damoreau d’avoir introduit en France cette manière italienne, la seule d’entendre la musique.

Ce qu’il y a de remarquable dans la carrière musicale de Mme Damoreau, c’est qu’au rebours des autres cantatrices, à mesure que son talent grandit, et que sa réputation augmente, elle descend à plaisir d’un degré l’échelle dramatique. Ainsi, quand elle n’était encore qu’une petite fille ignorée et tremblante, Mme Damoreau chantait au premier théâtre de Paris, au Théâtre-Italien ; plus tard sa voix se développa, son talent se forma à la fréquentation de Mozart et de Paisiëllo, de Paër et de Rossini, et de ce faîte où l’écolière s’était maintenue, non sans honneur, l’artiste descendit à l’Opéra ; aujourd’hui que sa renommée est au comble, comme son talent, qu’elle n’a qu’à se montrer pour que tous les bouquets d’une salle tombent à ses pieds, voilà qu’il lui prend fantaisie de se réfugier à l’Opéra-Comique, le troisième théâtre dans la hiérarchie, si toutefois il y a une hiérarchie pour les théâtres. Qui sait ? c’est peut-être là une coquetterie de Mme Damoreau ; quoi qu’il en soit, sa présence ouvre des temps nouveaux pour l’Opéra-Comique ; ce vieux sol portera des fruits, pourvu qu’on le déblaie avec persévérance. Renvoyez en province, où vous avez été les prendre, vos chanteurs et vos chanteuses d’autrefois ; qu’ils emportent dans leurs bagages autant d’ariettes que Philidor et Marsollier ont pu en écrire ; engagez à prix d’or une basse comme Lablache, un ténor comme Dupré ; commandez des opéras à Meyerbeer, à Donizetti, à Auber, à Rossini, s’il daigne vous en faire, et le grand monde fréquentera votre maison, et Mme Damoreau se croira toujours sur le premier théâtre de Paris.