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SIMON.

s’esquiva pour monter dans sa chambre. Tout y était dans le plus grand désordre, le lit défait, les vêtemens épars : cette nuit avait dû être terrible pour Simon. Alors, laissant ses amis auprès de Jeanne, et poussée machinalement par les paroles qu’elle lui avait entendu répéter dans son délire, elle courut à l’église. Elle la trouva fermée, déserte aux alentours ; seulement, un chien qui hurlait à la lune, devant le porche reblanchi, lui causa une impression de terreur superstitieuse. En cherchant au hasard où elle dirigerait ses pas, le sentier qui menait à la tour de la Duchesse s’offrit à elle, et elle s’y jeta en courant, appelée par une sorte de divination. L’horloge sonna trois heures du matin, lorsque Fiamma, au milieu de la rosée, et à la lueur de la lune qui s’abaissait vers l’horizon, tandis que le crépuscule commençait à paraître, atteignit les ruines du petit fort. Elle appela Simon. Un cri étouffé lui répondit, et aussitôt la figure pâle de son amant sortit du milieu des ruines. Il avait l’air si sombre, que Fiamma en eut peur, elle qui n’avait peur de rien au monde.

— C’est vous ! s’écria-t-il ; que venez-vous faire ici ? Que voulez-vous de moi ? N’êtes-vous pas lasse de me tuer ? Faut-il que je vous aide ? Avez-vous apporté le fer ou le poison ? Êtes-vous un spectre ou une femme ? Pourquoi vous êtes-vous emparée de toute ma vie ? Pourquoi m’ôtez-vous le présent et l’avenir ? Pourquoi êtes-vous revenue ? J’allais guérir peut-être, et maintenant je suis perdu.

— Simon, vous êtes dans le délire, répondit-elle en voulant lui prendre la main.

— Laissez-moi, s’écria-t-il en la repoussant ; ne me touchez pas, je suis capable de vous tuer !… Vous êtes ma damnation, vous êtes l’enfer qui me consume ! Savez-vous ce que vous faites de moi ? un fou et un lâche !… Allez demander à Bonne Parquet ce que je lui ai dit avant-hier, et demandez-moi ce que je vais lui dire aujourd’hui. Tout mon sang ne pourra laver l’insulte faite aux cheveux blancs de son père ; son père ! mon plus ancien ami, mon bienfaiteur, mon père aussi à moi, car je lui dois tout. Sans lui, je serais retourné à la charrue, et j’y serais resté. Oh ! il est vrai que je ne vous aurais pas connue, ou que je n’eusse jamais songé à vous aimer. Et ce vénérable prêtre qui m’a béni le jour de ma naissance, en me disant : « Suis la noble profession de tes pères ; ouvre de ton bras un sillon pénible ; connais la misère et avec elle la résignation ! » ce frère de ma mère dont la cloche va sonner la commémoration funéraire