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HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE.

l’esprit humain ne reconnaît aucun supérieur, aucun égal ; au-dessus de l’esprit de l’homme il n’y a que l’esprit de Dieu. Ma méthode est, vous le savez peut-être, de ne chercher aucune question, et de n’en éviter aucune. Nous en rencontrerons beaucoup, et de graves, sur notre chemin ; nous les traiterons avec liberté et mesure.

L’impartialité, est une autre forme de l’indépendance ; il ne nous coûtera pas beaucoup de lui rester fidèles. Ce siècle paraît désirer l’impartialité, il se lasse de l’histoire faite dans un but, employée comme moyen pour faire triompher un principe ; il voudrait bien savoir comment les choses se sont réellement passées, connaître les siècles dans leur vérité, dans leur vie intime et réelle. Nous vous présenterons donc, messieurs, avec indépendance et avec impartialité, le tableau des luttes qui ont occupé et agité l’esprit moderne pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne dans les Gaules. Beaucoup de ces questions, qui alors passionnaient les intelligences, ont été depuis à peu près oubliées, et il y a quelque chose de triste dans le spectacle d’un pareil oubli ; il y a quelque chose de triste à se dire que ce qui a été si puissant, ce qui a produit du dévouement, des luttes, du courage ; que tout cela soit comme si cela n’avait pas été ; que souvent les siècles suivans s’en moquent, et que nous, plus sérieux, nous soyons obligés de faire des efforts d’imagination et d’érudition pour comprendre l’ame de nos pères ; mais en y regardant de plus près, cette pensée fait place à une pensée plus consolante ; on s’aperçoit que ce qui préoccupe un siècle n’est pas aussi étranger qu’il semble d’abord à ce qui préoccupe les autres siècles ; on s’aperçoit que des causes identiques se perpétuent, se reprennent sous des noms divers ; la même chose s’appelle, dans un temps, christianisme, dans un autre temps, humanité, liberté. La même chose aussi s’est appelée quelquefois hérésie et quelquefois philosophie.

Nous aurons bien des exemples de cette identité des causes pour lesquelles travaille l’activité humaine, et cette considération relèvera encore, à nos yeux, le prix de l’objet de nos études. Enfin, quand ceci serait une illusion, quand il serait vrai que les causes pour lesquelles se sont passionnés, ont écrit, ont vécu, sont morts quelquefois les hommes dont nous allons parler ; que ces causes, dis-je, ne tiennent en rien à celles de l’humanité, et ont passé et sont comme si elles n’avaient jamais été ; quand tout cela serait,