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plus faire chez lui que des apparitions de stricte bienséance, il s’était flatté, pendant deux ans, d’en être tout-à fait débarrassé. Sa joie avait été au comble, lorsque Fiamma lui avait dit, huit jours auparavant, que son intention était de prendre le voile, et qu’elle allait l’accompagner à Fougères pour faire ses adieux à ses amis du village, et leur donner l’assurance de la liberté d’esprit et de la satisfaction véritable avec lesquelles elle embrassait l’état monastique. Ce voyage avait paru d’autant plus convenable et d’autant plus avantageux à M. de Fougères vis-à-vis de l’opinion publique, qu’il se croyait plus assuré de la résolution inébranlable de sa fille. La crainte d’une inclination de sa part pour Féline n’avait jamais été sérieuse en lui, et s’il l’avait eue, depuis long-temps elle s’était dissipée. Il ignorait leur correspondance, et lors même qu’il en eût été le confident, il eût pu croire que Simon était guéri de son amour, et que Fiamma ne l’avait jamais partagé.

La scène qui venait d’avoir lieu avait donc été pour lui un coup de foudre. Ce n’est pas qu’une alliance avec Féline fût désormais aussi disproportionnée à ses yeux qu’elle l’eût été deux ou trois ans auparavant. Depuis la veille surtout, M. de Fougères commençait à apprécier les avantages de la position et l’importance des talens de Simon. Il avait vu en arrivant les sommités aristocratiques de la province. Il avait dîné à la préfecture, et là, tous les convives avaient déploré les opinions de M. Féline avec une chaleur qui prouvait le cas qu’on faisait de sa force, ou la crainte qu’elle inspirait. On s’était surtout étonné de l’imprudence qu’avait commise M. de Fougères en ne le choisissant pas pour avocat, ou en ne s’assurant pas d’avance de sa neutralité. Le séjour de Paris rend essentiellement dédaigneux pour les talens de la province ; on s’imagine que la capitale absorbe toutes les supériorités et en deshérite le reste du sol. Cela était arrivé à M. de Fougères ; il s’éveilla péniblement de cette erreur dès les premières opinions qu’il entendit émettre à ses pairs sur la puissance de Féline. Cette jeune renommée avait pris subitement tant d’éclat, que la surprise et l’inquiétude du plaideur furent extrêmes. Il courut aussitôt se confier à M. Parquet. C’est pour cela que Bonne, prenant son embarras pour de la froideur, était revenue au village la veille dans la soirée, pénétrée de l’idée que le comte avait découvert les projets de son père à l’égard de Fiamma, et qu’il en était offensé.