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Ce point de vue a surgi et devait surgir à la suite du protestantisme ; car le protestantisme était déjà jusqu’à un certain point un retour à la Nature. Aussi après le protestantisme est venue la controverse de Bayle, puis l’optimisme religieux de Leibnitz, puis l’optimisme épicurien dont nous parlons.

Ce furent, il faut bien le remarquer, des grands seigneurs, tels que le comte de La Rochefoucauld et milord Bolingbroke, qui répandirent les premiers ces maximes, que la Nature est une bonne mère, qui a fait pour nous tout ce qu’elle a pu, et qui a distribué également entre nous ses faveurs. « Quelque différence qui paraisse entre les fortunes, dit La Rochefoucauld, il y a une certaine compensation de biens et de maux qui les rend égales. » Fontenelle était à peu près du même sentiment : « À mesurer, dit-il, le bonheur des hommes seulement par le nombre et la vivacité des plaisirs qu’ils ont dans le cours de leur vie, peut-être y a-t-il un assez grand nombre de conditions assez égales, quoique fort différentes. Celui qui a moins de plaisirs les sent plus vivement ; il en sent une infinité que les autres ne sentent plus, ou n’ont jamais sentis ; et à cet égard la Nature fait assez son devoir de mère commune. » Mais lorsque Pope eut chanté le système du tout est bien que lui avait formulé Bolingbroke, et lorsque Voltaire eut importé ce système en France, l’épicuréisme se trouva avoir toute une théologie à opposer à la théologie chrétienne.

Le premier point de cette philosophie est que le bonheur est non-seulement la loi, mais la fin et la règle unique de tous les êtres :

Dieu m’a dit : Sois heureux ; il m’en a dit assez[1].

Le second point, c’est que, dans la destinée de chaque homme, le bien et le mal se compensent :

Le malheur est partout, mais le bonheur aussi[2].

Le troisième point, c’est que toutes les destinées sont par conséquent également partagées en bien et en mal :

Le ciel en nous formant mélangea notre vie
De désirs, de dégoûts, de raison, de folie,

  1. Voltaire, Discours en vers.
  2. ibid.