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qui sont enfoncés et embourbés dans la matière, ne conservant plus aucune idée de la souveraine beauté, courent avec fureur après les beautés imparfaites et passagères, et se plongent, sans respect pour eux-mêmes, dans toutes sortes d’impuretés.

Le bonheur, donc, suivant Platon, n’existe nullement dans le rapport direct que nous pouvons avoir avec les différens objets qui s’offrent à nous dans le monde ; mais, par ces objets, nous nous mettons en rapport avec les idées de beauté qui sont cachées derrière eux comme derrière un voile. C’est là la seule route de bonheur que nous puissions suivre.

Or ces Idées ayant une existence réelle en Dieu, il s’ensuit que Dieu seul est le véritable bien. Notre bonheur à nous consiste à nous rendre aussi semblables à Dieu que nous le pouvons.

Ainsi, en définitive, deux guides nous sont donnés pour nous conduire vers Dieu, c’est-à-dire vers le bonheur : la Raison, et l’Amour. La Raison enseigne le bon chemin, et empêche qu’on ne s’égare. L’Amour nous incite à marcher, il fait qu’on ne trouve rien de difficile, il adoucit les travaux et les peines inséparables de ce combat.

Appelez l’Amour la Grace ; explicitez davantage l’existence réelle et objective des Idées, lien mystérieux entre Dieu et le monde, où votre pensée rencontre la pensée divine ; réalisez complètement ce Νοῦς, ce Λόγος, ce Verbe, cette Sagesse, que Platon distingue encore en Dieu, pensée créatrice de Dieu en puissance, de même que les Idées sont sa pensée créatrice déjà effectuée ; enfin trouvez à ce Verbe un homme pour l’incarner ; faites-lui une histoire, une tradition ; et tous les termes de cette chaîne mystérieuse qui unit l’homme à Dieu s’illumineront à vos yeux, et vous donneront le Christianisme.

Comment donc cette théologie n’a-t-elle pas fait de Platon un moine chrétien ? C’est que Platon, en s’y confiant, avait pour but, non de réprouver la nature et la vie, mais de les améliorer et de les transformer. Ici revient l’inspiration socratique, ici se retrouve le génie grec. Pourquoi Platon avait-il été chercher cette doctrine en Orient ? Pour accomplir l’œuvre proposée par Socrate ; pour perfectionner la vie humaine. S’en étant pénétré, il devait donc l’appliquer à ce but. Aussi toute cette doctrine tourne-t-elle chez lui à la vie active, à la vie pratique. C’est une explication du monde et de