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DU BONHEUR.

vertus et en règles de morale est, à nos yeux, l’Épicuréisme : et pourtant combien de vertus elle enseigne déjà !

Encore une fois, je parle de l’Épicuréisme d’Épicure, de ce système de prudence et de prévoyance, reproduit en partie au dix-huitième siècle et de nos jours par la portion vraiment respectable de l’Épicuréisme moderne. Je ne parle pas des prédications de volupté et d’abandon irréfléchi à toutes les chances de la vie, sans autre guide que la sensation ; ceci, je le redis encore, est un délire, et non pas une philosophie.

L’Épicuréisme, en nous enseignant à nous aimer nous-mêmes, nous conduit à nous respecter nous-mêmes. Il nous apprend à limiter nos désirs. Il s’efforce de nous montrer les conséquences de nos actions, et par là nous empêche de nous livrer à la fatalité. C’est une philosophie bien triste sans doute que de restreindre la vie au présent sans passé et sans avenir, comme un accident entre deux sommeils infinis. Mais quand on voit que ceux qui ont le plus profondément creusé la condition humaine sous ce point de vue sont arrivés à enseigner une morale pure, on ne peut s’empêcher de reconnaître que cette philosophie a été une des grandes voies du perfectionnement général de l’humanité.

Les biens qui sont véritablement sortis de l’Épicuréisme se rapportent plus particulièrement au perfectionnement de notre vie matérielle. Le fond de ce système est le choix, αἰρησις comme disait Épicure, ce qu’on appelle aujourd’hui la prévoyance. De là est résulté directement un certain aménagement des plaisirs qui nous sont communs avec les animaux. En sanctifiant, pour ainsi dire, le soin de la vie matérielle, l’Épicuréisme a été indirectement cause de cette multitude de perfectionnemens que l’intelligence humaine a trouvés dans les propriétés de la matière. Si la vie qui nous est commune avec les animaux n’avait pas rencontré une justification raisonnable et pour ainsi dire religieuse, l’intelligence humaine se serait précipitée encore plus qu’elle ne l’a fait dans la route purement contemplative où le Christianisme s’est plongé avec tant d’ardeur. Il est évident que toutes les sciences d’expérimentation qui consistent à découvrir les volontés de la Nature, pour en détourner les mauvais effets et en recueillir les bons, ont au fond une certaine affinité avec l’Épicuréisme ; aussi ont-elles toujours cherché en lui la justification de leurs efforts. Et qu’on ne dise pas que sans cette philosophie,