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DU BONHEUR.

transformation d’une propriété de la plante ; mais, dans le passage, cette propriété, de végétale qu’elle était, est devenue animale. Il en est de même du besoin de la reproduction. La plante, immobile, se parait de fleurs par un secret besoin d’amour : l’oiseau construit un nid par le même besoin. En un mot, je défie qu’on me cite soit un acte, soit une propriété, soit un mode quelconque d’existence de l’animal, dont l’analogue ne se retrouve pas chez le végétal. La sensibilité même, cette propriété caractéristique de l’animal, se montre très apparente chez quelques végétaux, et il est probable qu’elle existe à un degré de plus en plus affaibli chez tous. Mais lors même qu’on voudrait la considérer comme propre et spéciale aux animaux, il ne s’ensuivrait pas qu’elle seule constituât réellement leur vie ; car elle est indissolublement unie chez eux à toutes les propriétés qu’ils ont de communes avec les végétaux. De sorte que leur vie est, si l’on veut, une combinaison de sensibilité et de vie végétale, mais combinaison dans laquelle un des élémens est aussi indispensable que l’autre. Si vous prétendiez, par l’analyse, dépouiller l’idée animal de tout ce qu’elle a de commun analogiquement avec l’idée végétal, vous détruiriez complètement cette idée ; de même que si vous prétendiez conserver dans l’idée animal une seule des propriétés du végétal intacte et sans métamorphose, vous n’auriez réellement pas un animal, mais un être absurde et impossible, parce qu’il serait contradictoire.

Hé bien ! cette métamorphose, qui fait que la vie de l’animal est à la fois si analogue et si essentiellement étrangère à la vie du végétal, se reproduit dans le passage de l’animal à l’homme. L’homme a la raison par-dessus l’animal, comme l’animal avait la sensibilité par-dessus les plantes. L’animal est pour ainsi dire un végétal sensible ; l’homme est pour ainsi dire un animal raisonnable. Mais, par l’effet de la sensibilité organisée dans des appareils particuliers appelés sens, l’animal est entièrement différent du végétal ; et de même, par l’effet de la raison, l’homme est un être essentiellement différent de l’animal. Chez l’animal toutes les fonctions et toutes les facultés du végétal se retrouvaient, et cependant n’existaient plus, c’est-à-dire qu’elles étaient transformées. De même, chez l’homme toutes les fonctions de l’animal se retrouvent, mais transformées. L’antique définition, répétée de siècle en siècle : L’homme est un animal raisonnable, ne doit donc pas être entendue comme si l’on disait que