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DU BONHEUR.

devient immense chez l’homme. C’est le milieu nouveau, le milieu véritable, le seul milieu où se développe l’existence de cet être nouveau sorti de la condition animale, et qui s’appelle l’homme.

Donc, pour nous résumer, en considérant que notre être est une force qui sans cesse aspire, et que cette aspiration accompagne la sensation et lui survit, nous échappons fondamentalement à la doctrine de la sensation. En considérant l’unité de notre être, qui est ame et corps à la fois, nous échappons fondamentalement à l’ascétisme chrétien. Enfin, en comprenant que la vie de l’homme est unie à l’humanité, nous découvrons la route où nous devons marcher, la route où les deux tendances qui ont divisé la philosophie viennent se rejoindre ; car, par l’humanité, nous pouvons satisfaire notre soif spirituelle de bonté et de beauté, sans sortir de la nature et de la vie. Nous voilà hors des deux écueils, hors du matérialisme et hors du spiritualisme mal entendu. Le Connais-toi toi-même de Socrate nous suffit pour être dans notre condition d’hommes et pour y rester, pour atteindre par la pensée à la dignité de notre nature et ne pas la dédaigner.

Oui, Platon dit vrai ; nous gravitons vers Dieu, attirés à lui, qui est la souveraine beauté, par l’instinct de notre nature, aimante et raisonnable. Mais de même que les corps placés à la surface de la terre ne gravitent vers le soleil que tous ensemble, et que l’attraction de la terre n’est, pour ainsi dire, que le centre de leur mutuelle attraction, de même nous gravitons spirituellement vers Dieu par l’intermédiaire de l’Humanité.

Voici donc notre dernière conclusion.

Entend-on par bonheur un état non défini de sensations et de sentimens agréables, indépendamment d’une conception philosophique de notre nature et de notre destinée, la Philosophie n’a rien à voir là. Allez, suivez votre fantaisie, courez après les sensations, abandonnez-vous à vos passions ; livrez-vous à la fatalité ; conduisez-vous à la manière des animaux et des enfans ! Vous vivrez d’une certaine façon, vous aurez un certain bonheur ; si, oubliant que vous êtes raison, vous vous faites corps, vous aurez le bonheur des corps ; si vous vous transformez en pourceaux sous la baguette de Circé, vous aurez la joie des pourceaux ; si, oubliant que vous êtes uni à l’humanité, vous vous faites égoïste, vous aurez les plaisirs solitaires d’un homme seul, c’est-à-dire d’un