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de Shakspeare, cueilli au tronc de ce grand chêne, est devenu, aux mains de M. de Musset, la tige gracieuse et féconde de tout un petit genre de proverbes dramatiques, mêlés d’observation et de folie, de mélancolie et de sourire, d’imagination et d’humeur ; nous avons eu par lui un aimable essaim de jeunes sœurs françaises de Rosalinde. Dans les tentatives plus fortes qu’il a faites, comme André del Sarto et Lorenzaccio, M. de Musset a moins réussi que dans ces courtes et spirituelles esquisses, si brillantes, si vivement enlevées, dont les hasards et le décousu même conviennent de prime-abord aux caprices, et, en quelque sorte, aux brisures de son talent. Mais jusque dans ces ouvrages de moindre réussite, on pouvait admirer la sève, bien des jets d’une superbe vigueur, de riches promesses, et dire enfin comme, dans son Lorenzaccio, Valori dit au jeune peintre Tebaldeo : « Sans compliment, cela est beau ; non pas du premier mérite, il est vrai : pourquoi flatterai-je un homme qui ne se flatte pas lui-même ? Mais votre barbe n’est pas poussée, jeune homme. » M. de Musset avait aussi le mérite de ne pas trop se flatter ; le ton sincèrement modeste de ses dernières préfaces contrastait d’une manière frappante avec la façon cavalière et presque arrogante de ses débuts, et cette modestie si rare, qui accueillait la critique, s’accordait bien avec le dégagement de moins en moins contestable de son talent. Quelques lettres éloquentes d’un Voyageur, lettres signées d’un nom qui a le pouvoir déjà de répandre de la célébrité sur tout ce qui s’y associe, avaient ajouté à l’intérêt qui s’attache naturellement aux productions de M. de Musset. De beaux vers, la Nuit de Mai, où la plainte est comme étouffée, la Nuit de Décembre, où elle éclate, et de laquelle je ne voudrais retrancher que le dernier paragraphe (Ami, je suis la Solitude), avaient entretenu cet intérêt à la fois littéraire et romanesque, que la Confession d’un Enfant du Siècle, fort vivement attendue, semble devoir combler.

Le sujet de cette confession est celui-ci : Un jeune homme qui a dix-neuf ans au commencement du récit et vingt et un ans à la fin, Octave, né vers 1810, de cette génération venue trop tard pour l’empire, trop tard (malgré sa précocité) pour la restauration, et qui achève, en ce moment, son apprentissage dans le conflit de toutes les idées et sur les débris de toutes les croyances, Octave est amoureux ; il l’est avec naïveté, confiance, adoration, et jusque-