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LETTRES SUR LA SICILE.

heureux Sélinontains qu’Annibal fit enlever, pour les égorger ou les vendre comme esclaves, lorsqu’il fit aux Syracusains, qui intercédaient en leur faveur, cette célèbre et cruelle réponse : « Ceux qui ne savent pas défendre leur indépendance, méritent d’être traités en esclaves, et les dieux, irrités contre les habitans de Sélinonte, se sont éloignés d’eux[1]. »

Le second temple, dans lequel on a voulu voir une espèce de forum destiné aux assemblées publiques, est parallèle au précédent. Il en est à quarante pas, et était entouré d’un portique de trente-six colonnes cannelées d’une seule pièce. Derrière le péristyle, quatre autres colonnes indiquaient l’entrée de la cella ; trois degrés formaient la base du monument. Il était le plus moderne et le plus élégant de ceux situés hors de l’enceinte de la ville.

Le dernier temple extérieur est le plus voisin de la mer. Son portique se composait de trente-huit colonnes doriques cannelées ; il avait, devant et derrière la cella, quatre colonnes et deux pilastres ; on monte au péristyle par neufs gradins. L’espace occupé par ces trois édifices, qui actuellement ne s’élèvent plus guère au-dessus du niveau du sol, est encombré de pierres, de plantes et d’arbustes. Des chèvres, debout sur ces pompeux débris pour brouter les ronces, et un pâtre armé d’une longue carabine, animaient seuls le paysage ; mais cet abandon complet a un charme inexprimable. Le passé rappelle en ces lieux trop de souvenirs pour ne pas suffire à l’ame du spectateur ; tout bruit ne serait là qu’une pénible dissonance.

En quittant les temples, je me dirigeai vers la plage ; le rivage forme, au pied de la colline de Sélinonte, une petite anse actuellement très ensablée ; dans l’antiquité, elle servait de port à la ville ; on y reconnaît les murs de la jetée et diverses traces d’escaliers.

Un rapprochement entre le passé et les temps modernes se présente à l’imagination de celui qui parcourt ces lieux. Tout a changé sur ces bords ; la mer seule est restée la même ; elle baigne aujourd’hui les débris de cette ville oubliée dont elle a vu la splendeur. Son calme majestueux, son mouvement régulier semblent se rire des passions humaines, dont ce rivage a jadis été le théâtre ; maintenant plus d’activité, plus de fêtes pompeuses, plus de guerres sanglantes ; au bruit

  1. Diodore, liv. xiii, p. 587.