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DE LA POÉSIE ÉPIQUE.

D’après ce qui précède, il résulte aussi que la poésie que l’on appelle fiction, a souvent besoin de réalité plus encore que l’histoire. Le poète, dites-vous, donne l’immortalité ; c’est-à-dire, parmi une foule d’objets, les uns périssables, les autres faits pour durer, il fait spontanément la différence de ce qui est passager et de ce qui est éternel, quand l’univers est encore plongé là-dessus dans l’incertitude.

Le monde grec a passé par trois phases qui ont présenté chacune un système de faits propres à l’épopée. La première est la guerre des Dieux et des Titans. Hésiode ne nous a conservé que le résumé ou l’argument des poèmes perdus de cette époque. La seconde suit l’établissement des races, et, pour mieux dire, la conquête de la cité grecque. Elle est marquée par la prise de Troie et par les monumens homériques. Dans sa dernière forme, la Grèce s’est faite homme ; elle s’appelle Alexandre. Il n’est aucun doute que, sous ce nom, elle ne renfermât encore au plus haut degré l’élément héroïque. En effet, les poètes orientaux se sont emparés de sa dépouille, et jusque dans le moyen-âge, ils ont continué d’usurper cette dernière phase de l’histoire grecque. L’Orient reprenait alors ses droits par l’épopée, par la philosophie alexandrine, par le christianisme.

Il suffit de jeter les yeux sur Rome pour reconnaître que son histoire, considérée dans ses rapports avec la poésie, n’est point aussi complète que l’histoire grecque ; d’abord, l’époque et la lutte des Dieux lui manquent, et ce n’est que par des artifices infinis que Virgile est venu à bout de déguiser cette impuissance. Les Héroïdes, signalées par Niebuhr, et qui remontent à l’époque des rois, sont tellement mêlées à leurs annales, et le ciseau de l’artiste les a si mal dégagées du bloc de l’histoire, qu’elles rentrent dans les études de l’archéologue plus que dans celles du poète. Quoi qu’il en soit, l’époque la plus riche assurément que l’histoire romaine ait présentée à l’épopée, est celle où le monde antique parvint à sa plus haute unité sous la puissance du premier des Césars. Que l’on essaie de se figurer dans la langue prophétique du vie livre de l’Énéide tous les intérêts du monde antique rassemblés sur la limite de l’antiquité et des temps modernes, tant de peuples encore primitifs se groupant, avec leurs cultes et leur génie, autour de la louve romaine, dans l’attente du christianisme ; les Gaulois, les Bretons,