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leurs exercices spirituels, sans faire de vœux toutefois. Il vécut ainsi quatre ans. Il eut dans l’intervalle le désir d’entrer dans les franciscains ; mais, en y regardant de près, sa conscience fut blessée du relâchement de cette institution, et généralement de la corruption qui avait gagné tous les ordres religieux. Il changea donc d’avis et demeura libre comme auparavant, mais avec un besoin toujours croissant de direction et de frein, et souffrant toutes les angoisses du lent martyre de la chasteté. Vers ce temps-là, le docteur Colet[1] prêchait à Londres avec beaucoup de doctrine et d’onction. Le jeune Morus le prit pour son confesseur, et lui demanda tous les secours de sa science et de sa piété pour l’assister dans cette lutte qui le consumait sans l’apaiser.

Tout le temps que le docteur était à Londres, Morus se sentait calmé. Il allait entendre prêcher son directeur, et le soir il l’écoutait, soit en tête-à-tête, soit au milieu de quelques amis que le docteur édifiait par ses commentaires sur quelque lecture de piété. Colet était doyen de Saint-Paul, et, en cette qualité, il avait à tenir table ouverte pour les étrangers et pour les ecclésiastiques de son collége. Sous son prédécesseur, on vantait la table du doyen de Saint-Paul pour sa magnificence et pour la longueur des repas, qui duraient jusque dans la nuit ; Colet, par des habitudes de frugalité et un peu par cette tendresse pour l’argent que lui reproche discrètement Érasme, avait réduit la table de doyen au nécessaire, et abrégé la longueur des repas. Il avait remplacé les plats superflus par des lectures, et les libations prolongées par des causeries pieuses. Morus était quelquefois du festin et toujours des entretiens qui le suivaient. Sitôt que les convives s’étaient mis à table, un des gens du doyen lisait d’une voix haute et claire quelque chapitre des Épîtres de saint Paul ou des Proverbes de Salomon[2]. Colet faisait choix d’un texte particulier, et après avoir interrogé les assistans sur le sens de ce texte et recueilli tous les avis, il donnait lui-même sa propre interprétation avec une gravité de langage et une douceur de controverse qui édifiaient tout le monde. Le repas fini, et les graces dites, l’entretien continuait ; si

  1. C’est le même docteur Colet qui répondait aux demandes d’argent d’Érasme par des vœux pour que Dieu l’assistât, et par des complimens sur sa gloire.
  2. Lettres d’Érasme, 455-457.