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THOMAS MORUS.

J’allais prolonger encore ce doux rêve, mais le lever de l’aurore a dissipé mes songes et m’a chassé de ma royauté pour me replonger dans ce pétrin qu’on appelle le barreau[1]. » Cela pourra paraître plus enjoué que fin, et plus naïf que délicat, à cause de cette diversité des palais dont parle Morus, si grande dans les hommes d’une même époque, si changeante d’une époque à l’autre ; mais il n’est personne qui ne doive être touché du ton aimable et bon de ces confidences, et qui ne reconnaisse le cœur de l’homme de bien sous les joies de l’homme de lettres applaudi.

L’Utopie parut en 1518. Le public confirma le suffrage particulier des amis de Morus. Ce fut une rumeur d’admiration dans toute l’Europe occidentale. Les savans, les politiques, les magistrats, les princes, lurent ce livre. Ni les Colloques d’Érasme, ni l’Éloge de la Folie, n’avaient eu plus de débit. Les érudits lisent encore les Colloques d’Érasme et l’Éloge de la Folie ; mais personne ne lit l’Utopie ; grande leçon pour les livres à succès. Toutefois il y a une gloire pour les livres qui ont été utiles ; même quand on ne les lit plus, on les nomme avec respect. Ceux qui n’ont été écrits que pour le plaisir, et qui n’ont parlé qu’à l’imagination des contemporains, ne sont ni lus ni nommés.

iv.
L’Utopie.

Notre siècle a lu, sans le savoir, bien des contrefaçons de l’Utopie, quoiqu’assurément les auteurs de ces contrefaçons, je leur rends justice, ne connussent pas l’ouvrage original. Les doctrines de Saint-Simon et de Fourrier sont dans l’Utopie ; les attaques contre le droit de propriété sont dans l’Utopie ; la défense de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre est dans l’Utopie. L’Utopie, c’est la phalange de Charles Fourrier ; l’Utopie, c’est la communauté de biens de Saint-Simon. Quelques idées applicables brillent au milieu de ces rêveries, d’ailleurs si nobles et si ingénieuses. Il y a des maximes que Beccaria semble avoir transportées tout entières, avec leurs développemens, du livre de l’Utopie, dans le livre des Délits et des peines. L’Utopie, c’est ce thème de bien absolu que remanient

  1. Corresp. d’Érasme, Suppl. 1663-1664.