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magistrat qui le lui donne. Les voyages, pour lesquels il faut demander la permission des magistrats et le consentement du père et de la femme, se font sans argent et sans viatique, tous les biens étant communs. L’étranger reçoit partout l’hospitalité, mais à la condition de la payer par quelque travail. Le temps du voyage est limité.

L’agriculture est une sorte de conscription à laquelle personne n’échappe. Chaque ville envoie tous les ans à la campagne vingt jeunes gens qui doivent apprendre à cultiver la terre. Il est vrai que ceux qui n’y ont pas de goût sont libres de revenir ; on les remplace par d’autres.

Outre l’agriculture, tous les citoyens sont obligés de savoir un métier. Il faut être ou tisserand, ou maçon, ou charpentier, ou menuisier. Toutefois ceux qui marquent des dispositions particulières pour les sciences sont dispensés de ces travaux ; mais si les résultats ne répondent pas aux espérances qu’ils ont données, on les fait rentrer dans la classe des artisans. Le prince est choisi parmi ceux des artisans qui, par de grandes facultés, ont pris rang parmi les savans.

Le travail est modéré. La journée de l’Utopien, se divise en trois parties : six heures pour travailler, dix heures pour se reposer ou faire ce qui lui plaît, huit heures pour dormir. Des cours publics sont ouverts aux heures de récréation, pour ceux qui veulent cultiver les lettres et les sciences. Le soir, en été, on travaille au jardin, car chaque famille a le sien ; en hiver, on se réunit dans de grandes salles où l’on joue, non à des jeux de hasard, mais à un jeu moral, en manière d’échecs, où l’on fait combattre en ordre de guerre les vices et les vertus représentés par des pièces de bois. C’est la seule guerre connue en Utopie. En cas d’attaque étrangère, ils opposent à l’ennemi une armée de mercenaires, les Suisses d’Utopie. On entretient cette armée avec l’argent amassé dans les coffres, et provenant des blés qu’ils exportent. C’est là tout l’emploi qu’ils donnent à l’argent, métal qu’ils méprisent pour eux-mêmes, comme la principale source des maux de l’espèce humaine, et dont ils font leurs vases de nuit. Les chaînes des galériens, — car il y a des galériens dans Utopie, — sont en or. Tout individu qui a commis quelque grave délit est condamné à porter des boucles d’oreilles d’or.