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THOMAS MORUS.

ou si on lui permettrait d’entrer avec tout son train. « Messieurs, dit Morus, milord cardinal ayant mis récemment à votre charge la légèreté de vos langues pour toutes les choses qui transpireraient de cette chambre dans le public, je pense qu’il n’y a aucun inconvénient à le recevoir avec toute sa pompe, ses massiers, ses hallebardiers et porte-haches, sa croix, son chapeau rouge, et même avec le grand sceau, car s’il trouve quelque sujet de se plaindre de notre discrétion, nous ferons retomber le blâme sur ceux que Sa Grace aura amenés avec elle[1]. » Wolsey prononça un discours solennel, long et subtil, pour prouver la nécessité du subside. Le chiffre de la demande était si exorbitant, que l’assemblée ne lui répondit que par un silence universel. Irrité de cette froideur, il interpella quelques membres, et nommément un M. Murrey, l’un des chefs de l’opposition, lui demandant d’un ton de menace ce qu’il pensait faire. Celui-ci dit que c’était au président de répondre. Morus, se mettant à genoux, donna pour excuse au silence des communes leur stupéfaction à la vue d’un si haut personnage, capable d’intimider les plus sages et les plus instruits du royaume. Puis, venant au point vif de l’affaire, il prouva par d’abondantes raisons que cette manière de procéder n’était ni utile, ni conforme aux anciennes libertés des communes. Quant à lui, conclut-il, à moins qu’on ne prétendît qu’il avait tous les esprits de ses collègues dans sa tête, il était incapable, en matière si grave, de donner à lui seul satisfaction à Sa Grace. Wolsey se leva subitement et sortit. Quelque temps après, rencontrant Morus dans la galerie de Whitehall : « Par Dieu, lui dit-il, que n’étiez-vous à Rome, quand je vous ai fait orateur ! — Je l’aurais voulu comme vous, milord, me le pardonne Votre Grace, car c’est une ville que j’ai depuis long-temps désiré de voir. » Le cardinal ayant fait quelques pas sans ajouter un mot : « Voilà une belle galerie, dit Morus je la préfère à celle d’Hampton-Court. » Wolsey ne répondit rien. Ils se séparèrent mécontens l’un de l’autre, Wolsey avec le projet de se débarrasser de Morus à la première occasion. En effet, peu de temps après, les affaires ayant nécessité l’envoi d’une ambassade en Espagne, Wolsey persuada au roi d’en charger Morus. Mais celui-ci déjoua l’intrigue, et obtint de Henry de rester à Londres.

Il alléguait au roi, pour motifs de sa répugnance à quitter l’An-

  1. Roper’s life of sir Th. More.