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loppée à Luther, où d’abondantes injures servent de sel grossier à une polémique qui sent plus le barreau que l’église. Le docteur Lingard a tort, à mon sens, de réduire l’intention et le fond du livre de Morus à un parti pris de s’amuser à contrefaire le style injurieux du réformateur[1]. Ce livre est méthodique ; toutes les objections de Luther y sont réfutées ; toute la doctrine des sept sacremens, dont Henry viii s’était fait le champion, y est établie avec un grand appareil de preuves. Mais la raillerie et un persiflage d’une espèce très lourde y dominent. Les pointes, les jeux de mots, les injures y discréditent et n’y égaient pas les opinions orthodoxes et les croyances ranimées du catholique. Morus se propose « de souffler sur ces paroles qui ont pu faire illusion aux lecteurs et de dissiper ces pailles stériles que le réformateur ose donner pour du froment. » Il montrera « que les insipides facéties du bouffon de Wittemberg » ne tombent que sur lui. Morus se constitue le débiteur de ses lecteurs, pour tous les points où le libelle du réformateur exige une réponse, sous peine, s’il ne paie pas ses œufs, de ne pas trouver mauvais que Luther dise de lui comme Horace du poète au début ronflant « Que nous donnera ce prometteur qui réponde à un tel fracas de voix[2] ? »

Voici un curieux passage de l’écrit de Morus, d’après lequel on a bien pu se méprendre sur l’intention de l’écrit tout entier. C’est un récit burlesque de la manière dont Luther est supposé s’y être pris, pour répondre au livre de Henry viii[3].

« Quand Luther eut reçu le livre du roi, et qu’il l’eut goûté, ce mets salutaire parut amer à son palais corrompu. Ne pouvant le digérer, et voulant faire passer son amertume en buvant, il convoqua son sénat de compagnons de bouteilles. Là, bien qu’il eût mieux aimé que le livre restât enseveli dans d’éternelles ténèbres, après avoir affermi son esprit par de fréquentes libations, il se résigna à le produire aux yeux de l’assemblée. La lecture des premières pages commença à mordre toutes ces oreilles d’âne. Ils le ferment, le rouvrent, puis ils l’épluchent pour y chercher quelque passage à reprendre. Rien ne s’y montrait qui prêtât à la calomnie.

  1. Hist. d’Anglet. Henry viii, p. 164
  2. Oeuvres latines, p. 61.
  3. Ibid. 61 bis.