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THOMAS MORUS.

Comme dans tous les cas difficiles, on alla aux opinions. Le sénat devint sombre, et déjà Luther pensait à s’aller pendre, lorsque Brixius le consola par cet adroit discours :

« Que leur importait ce qu’avait écrit le roi d’Angleterre, et ce qu’il fallait croire de la religion, à eux qui n’avaient d’autre but que de provoquer des séditions et des tumultes, et d’y rendre leurs noms célèbres ? Que voulaient-ils, sinon tirer de l’argent des simples et prendre plaisir à lire des hommes plus instruits qu’ils avaient poussés dans la querelle ? En quoi pouvait leur nuire la vérité des paroles du roi et la réfutation de leur propre hérésie ? Que Luther réponde seulement à sa manière accoutumée, c’est-à-dire avec force injures et railleries. Qu’il ne se décourage pas ; surtout qu’il ne s’imagine pas qu’il faille combattre avec la raison. Des invectives, des outrages à toutes les pages, plus pressées que la neige, voilà les raisons qu’il faut donner ; et Luther n’en manquera pas de reste, lui qui en a en lui une source inépuisable. Ce sont là des armes dont il frappera sûrement son ennemi, et qu’on ne retournera pas contre lui. Qui donc pourrait lutter contre Luther, lui qui tiendrait tête à dix des plus bavardes et des plus impertinentes commères ? Les amis d’ailleurs ne lui manquent pas ; qu’il prenne donc la plume, la victoire est à lui. »

« Cet avis rendit du cœur à Luther qui déjà s’était échappé par la porte de derrière. Mais comme il vit qu’il fallait encore plus d’injures que sa pratique habituelle ne lui en fournissait, il exhorta ses compagnons à aller chacun de leur côté, partout où ils pourraient faire provision de bouffonneries et de gros mots, et à lui rapporter tout ce qu’ils auraient ramassé en ce genre. C’est de cette farine qu’il voulait composer sa réponse. Ces ordres donnés, il congédie l’assemblée. Tous s’en vont l’un d’un côté, l’autre de l’autre, là où chacun est porté par ses goûts. Ils hantent les voitures, les bateaux, les bains, les maisons de jeu, les boutiques de barbier, les tavernes, les moulins, les maisons de prostitution. Là ils observent de tous leurs yeux, écoutent de toutes leurs oreilles, et consignent sur leurs tablettes tout ce qu’ils ont entendu dire de grossier aux cochers, d’insolent aux domestiques, de médisant aux portiers, de bouffon aux parasites, d’immonde à la courtisane, d’infâme aux