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JOCELYN.

peut se nourrir encore par de touchans exemples et des effusions affectueuses ? Le christianisme de Jocelyn, qui n’a rien d’offensif pour l’orthodoxie sévère, n’a rien de répulsif non plus pour toute philosophie qui admet Dieu. Ce poème doux et élevé ne conviendrait-il pas exactement à cette situation mixte où se trouve la famille par rapport à la religion et à la morale ? N’aurait-il pas pour effet possible de lui offrir l’idéal permanent des sentimens de fils, de frère, d’amant, de prêtre évangélique, comme toute belle ame non tourmentée les conçoit encore ? Une des moralités qui transpirent de ce noble ouvrage, n’est-ce pas une conciliation insinuante de l’idée chrétienne, c’est-à-dire de l’esprit de sacrifice, avec les idées de travail et de liberté ? La portion de progrès, telle qu’elle s’offre par M. de Lamartine, n’a rien d’âcre ni de blessant ; jamais de bile ni au bord ni au fond ; on a beau presser, il est impossible qu’aucun sentiment équivoque sorte de là. Aussi, par beaucoup de raisons, quoique ces sortes de succès soient de ceux qu’on puisse le moins prédire et provoquer, je ne sais me dérober à l’idée que Jocelyn en mérite un semblable et y atteindra. Les endroits quelque peu vifs de passion et de tendre amorce sont dominés, traversés et comme assainis, par des courans d’une chasteté purifiante ; un sentiment d’ineffable beauté plane toujours et pacifie l’ame pudique qui lit. Les familles n’ont plus aujourd’hui de filles destinées au cloître, et elles n’ont guère de fils destinés à l’autel ; le mot d’amour n’est donc pas en lui-même nécessairement alarmant, et il n’a effarouché d’ailleurs ni dans Paul et Virginie ni dans Télémaque. Les objections au genre de succès que nous appelons de tous nos vœux, et qui nous semble désirable pour l’honneur moral d’une nation chez qui la classe moyenne adopterait Jocelyn, autant que pour la fortune de Jocelyn lui-même ; ces objections se tireraient plutôt, selon nous, des longueurs du livre et de certaines abondances descriptives ; car on peut dire plus que jamais de Lamartine en ce poème, comme il dit de certains arbres des Alpes au printemps :


La sève débordant d’abondance et de force
Coulait en gommes d’or aux fentes de l’écorce.


Mais pour un livre déjà lu, dans lequel (comme je le suppose) on reprend, on relit sans cesse ; dans lequel le frère, déjà étudiant,