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ou la sœur aînée choisit les morceaux à lire à haute voix, le soir, autour de la table à ouvrage, cette abondance, cette richesse extrême, qui laisse au choix tant de liberté heureuse, et qui rassemble en chaque endroit tant de genres de beautés, a bien aussi ses avantages. Des critiques ont remarqué qu’il n’est pas dans Homère une seule beauté mémorable que le divin vieillard ne répète, ne varie en trois ou quatre endroits, au risque souvent de l’affaiblir ; je ne sais s’ils ont conclu de là pour ou contre l’existence d’un Homère. Chez Lamartine, chez celui que je voudrais saluer aujourd’hui comme l’Homère d’un genre domestique, d’une épopée de classe moyenne et de famille, de cette épopée dont le bon Voss a donné l’idée aux Allemands par Louise, que le grand Goëthe s’est appropriée avec perfection dans Hermann et Dorothée, et dont Beattie, Grave, Collins, Goldsmith, Baggesen, parmi nous l’auteur de Marie, sont des rapsodes soigneux et charmans, d’inégale haleine ; — chez Lamartine, le plus abondant de tous, on pourrait noter quelque chose de l’habitude homérique dans la reprise fréquente des mêmes beautés, des mêmes images, et quelquefois presque des mêmes vers[1]. Ce ne sont pas là des obstacles. Il y en aurait plutôt dans certaines incorrections grammaticales, dans quelques-unes de ces négligences de rime et de langue, que le poète (a dit autrefois Nodier) semble jeter de son char à la foule en expiation de son génie, et qu’en prenant une plus pastorale image, je comparerais volontiers à ces nombreux épis que le moissonneur opulent, au fort de sa chaleur, laisse tomber de quelque gerbe mal liée, pour que l’indigence ait à glaner derrière lui et à se consoler encore. Mais il ne faut pas cela. Il ne faut pas qu’au milieu d’une émouvante lecture

  1. Dans Jocelyn (3me époque), ces vers :

    L’heure ainsi s’en allait l’une à l’autre semblable,
    L’ombre tournait autour des troncs noueux d’érable,

    rappellent ces beaux vers de la pièce au marquis de La Maisonfort :

    Nonchalamment couché près du lit des fontaines,
    Je suis l’ombre qui tourne autour du tronc des chênes.

    En un endroit de Jocelyn, il est dit :

    Ses cheveux que d’un an le fer n’a retranchés ;

    et dans un autre, en parlant de l’évêque :

    Sa barbe que d’un an le fer n’a retranchée.