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doyant recommence. La nature des hautes montagnes est surtout familière à Lamartine et à Jocelyn ; après qu’il a discerné quelque temps de son œil perçant et doux les détails qui sont à ses pieds, les bœufs qu’on attelle, les rejets de frêne qu’on leur effeuille, les rameaux ombrageux qu’on leur plante sur la tête, et les mouches que les enfans chassent à leurs flancs, le voilà en un clin d’œil, qui revole à l’autre bout de l’horizon, ou qui repart sur une nuée. C’est en cela que son paysage, jusque dans ses acquisitions nouvelles, diffère toujours de ces paysages plus exactement clos, et comme entre deux haies, de Grunau, d’Auburn, et de certaines peintures des rives de l’Yarrow en Écosse, du Scorff en Bretagne, dans lesquelles les perspectives du ciel elles-mêmes nous apparaissent plus encadrées. S’il y perd quelque chose en confection, en fini, il y gagne en aisance, en largeur d’ensemble, et le petit détail, même quand il s’y livre, n’a jamais chez lui le prenez-y garde de la miniature.

Wordsworth et Coleridge, deux grands poètes pittoresques et méditatifs, n’y ont pas échappé : il y a chez eux de la miniature, qui s’associe pourtant avec une très haute élévation. Ce serait une assez neuve et utile manière de caractériser Lamartine, et de renouveler l’étude tant de fois faite de sa poésie, que de le comparer d’un peu près avec ces deux grands lakistes, qu’il connaît fort légèrement sans doute, et desquels il se rapproche et diffère par de frappans endroits. Coleridge, dans sa jeunesse, a fait d’admirables Poèmes méditatifs, dans lesquels la nature anglaise, domestique, si verte, si fleurie, si lustrée, décore à ravir, et avec une inépuisable richesse, des sentimens d’effusion religieuse, conjugale ou fraternelle ; soit que le soir dans son verger, entre le jasmin et le myrte, proche du champ de fèves en fleur, il montre à sa Sara l’étoile du soir, et se perde, un moment, au son de la harpe éolienne, en des élans métaphysiques et mystiques, qu’il humilie bientôt au pied de la foi ; soit qu’il abandonne ensuite ce doux cottage, de nouveau décrit, mais trop délicieux, trop embaumé à son gré pendant que ses frères souffrent (vers l’année 93), et qu’il se replonge vaillamment dans le monde pour combattre le grand combat non sanglant de la science, de la liberté et de la vérité en Christ ; soit qu’envoyant à son frère, le révérend George Coleridge, un volume de ses œuvres, il y touche ses excentricités, ses erreurs, et le félicite d’être