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permis de venir remettre les sceaux entre les mains de sa majesté, voulant ainsi se montrer obéissant et fidèle jusque dans un acte que la cour allait qualifier de désertion.

Henry reçut les sceaux avec grace, et fit à Morus beaucoup d’éloges et de remercîmens pour tous ses bons services. Il ajouta qu’en considération de ces services et de ceux qu’il pouvait encore attendre de lui, Morus ne manquerait pas de trouver dans le roi, soit en ce qui toucherait son honneur, soit en ce qui toucherait sa fortune, un bon et gracieux maître ; promesses assez semblables à celles qu’il fit à sa maîtresse Anne, en la prenant pour femme, quelques mois après la démission du chancelier ! Le même sort attendait ceux qui avaient la faveur de cet homme et ceux qui avaient sa disgrace, et c’est sur l’échafaud qu’il mettait d’accord les rivaux qui s’étaient disputé la première. Anne avait été la plus ardente ennemie de Morus ; elle porta sa tête sur le même billot.

Morus, après avoir obtenu du roi une sorte de pardon pour l’acte le plus honnête et le plus ferme de sa vie, se sentit si soulagé et si libre d’esprit, qu’il reprit tout à coup sa gaieté et cette humeur particulière par laquelle il tirait des sujets de plaisanterie des choses les plus sérieuses. Cela se montra dans la manière dont il annonça sa démission à lady Morus. C’était un samedi que l’ex-chancelier avait été reçu par le roi. Le lendemain, qui était un dimanche et un jour de fête, peu de personnes sachant encore ce qui s’était passé, il alla entendre la messe dans l’église de Chelsea avec sa femme, ses gendres et ses enfans. C’était l’usage, la messe finie, qu’un des gentilshommes de milord chancelier alla trouver lady Morus à son prie-dieu et la prévint que le chancelier était sorti. Cette fois, ce fut Morus lui-même qui vint en personne au prie-dieu de sa femme, et qui lui dit, en faisant une profonde révérence et tenant son bonnet à la main : « S’il plaît à votre seigneurie, milady, de vous en venir, milord chancelier n’est plus ici. » Celle-ci ne comprit rien à ces paroles, et crut que c’était quelqu’une de ses plaisanteries accoutumées ; mais Morus, prenant un ton triste, lui dit qu’il n’était que trop vrai qu’il venait de quitter sa charge, et que le roi avait bien voulu accepter sa démission. Après un moment de douloureux silence, le caractère l’emportant : « Chansons, chansons, que tout cela ! s’écria-t-elle. Et que comptez-vous donc faire, monsieur Morus ? Voulez-vous donc rester au coin de votre feu à