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THOMAS MORUS.

sabilités de son église, et ne veut pas d’une innocence qui accuserait ses frères ; mais qui, comme homme, s’arrête devant la conclusion de son raisonnement, et descendant en lui-même, se trouble, hésite, et ne frappe point.

Certes, les combats ne durent pas être médiocres dans cette conscience, quand poussé par son zèle austère, par sa logique, par ses apologies des rigueurs de son église, par l’opinion commune qui assimilait le crime d’hérésie au crime de sédition, par les excès des réformés, par la confusion des culpabilités morales résultant de la ressemblance matérielle des délits, par des lois qui lui paraissaient venues de Dieu, par la contagion des bûchers de l’Allemagne et de la France, que sais-je ? par un caractère aigri et fatigué, tournant depuis long-temps au fanatisme, et à qui les impatiences devaient être si faciles ; quand piqué par les libelles des protestans, attaqué non seulement dans sa foi, mais dans sa vie privée ; calomnié, accusé de cruauté et de rapine, livré aux haines et aux risées de tous les réfugiés de Flandre ; blessé dans tous ses amours-propres à la fois, dans celui de l’honnête homme, dans celui du polémiste, dans celui de l’écrivain ; homme appartenant à cette nature humaine où l’on devait voir un jour des comédiens, devenus proconsuls, mitrailler les villes et décimer les populations par l’échafaud, pour se venger des sifflets d’un parterre ; las de tout, malade d’esprit et de corps, tourmenté de je ne sais quel désir de mourir qui dispose mal à respecter la vie d’autrui ; depuis long-temps dévoyé et aspirant à la disgrace, pour rentrer dans ses penchans et dans la vérité de sa nature ; quand, pour finir, provoqué par tant d’influences à la fois, ayant dans la main de tous les pouvoirs le plus fort et le plus plein de tentations, parce que l’homme qui venge ses opinions peut ne s’y croire que le magistrat suprême qui veille à la sûreté publique ; maître en plus d’une occasion de la personne de ses adversaires, il recula devant tant de passions qui donnent la bonne foi, et devant la bonne foi qui absout jusqu’au meurtre !

Il n’est jamais hors de propos d’admirer ce courage, le plus difficile et le plus héroïque de tous, parce qu’à toutes les époques, même dans la nôtre, où, s’il plaît à Dieu, la civilisation et les mœurs le doivent rendre rare, il y a des esprits honnêtes, fort imprudemment appelés logiciens, qui croient et font croire à la foule qu’il faut au besoin savoir conclure par l’échafaud. Ce sont,