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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

rible, par imposer ses mains, et bénir dans un carrefour deux époux moribonds ? J’aurais désiré plus de franchise dans les mélodies que chante Marcel, surtout aux derniers actes. N’importe, tel qu’il est, ce rôle servira puissamment à la renommée de M. Meyerbeer. Si Scott vivait encore, il envierait à l’auteur des Huguenots cette pâle et triste figure de soldat puritain. Quant aux caractères de Raoul et de Valentine, M. Meyerbeer les a, dès le commencement, abandonnés tous les deux. Ses forces s’étaient épuisées à ce double travail qu’il venait d’accomplir. Voyant que de veilles pénibles et de labeur il lui faudrait encore s’il voulait réformer ces incroyables conceptions de l’auteur du livret, il a senti son courage s’abattre, et certes ce n’est pas nous qui le blâmerons. Qu’est-ce donc qu’il convient à la musique de faire quand on lui donne des sujets pareils, sinon de croiser les bras et de se soumettre ? Que signifient des personnages dépourvus de toute simplicité, incapables de rêverie et d’amour, chez qui tout est geste, tout est convulsion, tout est démence ? Où voulez-vous que la mélodie se pose dans ces cœurs tout consumés et qui tombent en cendres ? Ce qu’elle a de mieux à faire, la vierge sereine, c’est de n’y pas venir. M. Meyerbeer a cette fois agi comme un vrai musicien français ; il a écrit pour ces deux rôles des airs et des duos là où son poète en avait ménagé. Nous parlerons de ces duos et de ces airs. Quant à la composition générale des deux caractères de Valentine et de Raoul, elle échappe à toute discussion sérieuse.

L’opéra des Huguenots se divise naturellement en deux parties bien distinctes : l’une joyeuse et vive et que le plus gai rayon de soleil illumine, l’autre imposante, grandiose, morne et terrible. Comment cette partition, qui commence dans une salle de festin où sont réunis les plus nobles gentilshommes de la cour de France, se termine au milieu des hurlemens du tocsin et de toutes les horreurs de la mort ; comment cette blanche Muse qui chante sous des touffes de jasmins et de roses, et baigne dans les eaux du Cher ses membres nus et délicats, en vient à mener par les carrefours la bande des soldats catholiques au meurtre des protestans, et cela sans que rien de précipité ne viole ou n’offense les lois de la gradation dramatique ; c’est là un des secrets merveilleux de l’art des contrastes que possède si bien M. Meyerbeer. Le premier acte est chaudement coloré, pétulant et rapide ; le