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L’ESPAGNE EN 1835.

le remarquer, ce que je n’avais pu faire jusque-là, car il était placé sur un des derniers rangs. Il me frappa. C’était une figure maigre et basanée, douée d’une expression énergique et fière : il était calme, ou du moins il le paraissait, et ses yeux n’avaient pas ces éclairs fauves et dévorans dont le père Lopez semblait vouloir me consumer. On me dit que cet homme, dont le nom de guerre était Portambou, — et on ne lui en donnait pas d’autre, — était né à Murviedro, l’ancienne Sagonte, et il ne démentit pas en cette occasion l’indomptable énergie de ses ancêtres. C’est à lui, comme on le verra plus tard, qu’appartiennent les honneurs de la journée : né du peuple, il avait commencé par être muletier ; il avait, en 1821, déclaré la guerre à la constitution et aux constitutionnels ; et, gagnant les montagnes, il s’était bientôt trouvé à la tête d’une bande redoutable. La liberté étouffée, il entra dans l’armée royale : il plia sa sauvage indépendance à la discipline des casernes, et monta en grade. À l’avènement de la reine, et lorsque don Carlos eut déployé le drapeau de l’insurrection, Portambou fut l’un des premiers sur pied, et recommença, à la tête d’une nouvelle bande, dans les mêmes lieux, sa campagne de 1821. Fait prisonnier dans une rencontre, il avait été conduit à Valence comme un captif d’importance, et maintenant il attendait sa dernière heure. Cette heure avait en effet sonné, il ne pouvait pas y avoir de quartier pour lui : il n’en espérait point.

Ce ne sont pas là les seuls portraits de cette longue galerie de douleur qui mériteraient un rayon de lumière : il y en avait de tout âge, de tout état. Prêtres, militaires, paysans, nobles, bourgeois, tous étaient confondus dans la triste fraternité d’un délit commun et d’une commune expiation ; mais on ne saurait ici tous les peindre ; d’ailleurs je fus interrompu. Il était onze heures ; il y en avait six que les prisonniers étaient suspendus entre l’espérance et le désespoir. Ce supplice préliminaire, en se prolongeant, devenait le pire de tous les supplices ; l’inquisition n’avait pas dans ses arsenaux de si cruelle torture. Enfin le doute cessa ; un officier entra tout essoufflé : il venait de chez le capitaine-général, et apportait des nouvelles. La junte avait pris son parti.


Quatre heures sonnaient à tous les clochers de Valence ; une grande foule était rassemblée, non plus sur la place du marché