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haute politique sait rendre éclatante justice au passé, et laisse à demi entrevoir un heureux et prochain avenir.

Que s’est-il donc passé depuis deux ans dans l’esprit de M. Guizot ? Je crois volontiers qu’ici il est en progrès, en progrès de retour vers le passé. Nous avions donc raison, il y a quatre ans, de lui dire : Pourquoi ne pas être avec les soutiens du passé ? Il y va maintenant, cet homme d’état : il a trop de logique pour persister dans des inconséquences qui doivent lui être douloureuses.

Dans quels embarras inextricables n’est-il pas engagé, quand il parle de la révolution ! Une révolution, dit M. Guizot, c’est un fait glorieux, un fait héroïque qui grandit les nations, qui en fait des personnages historiques admirables, mais c’est aussi pour les peuples une source d’aveuglement et d’orgueil. Quel amas de contradictions ! Voilà les nations glorieuses, grandes, admirables et en même temps aveuglées ! Le même fait est à la fois une source de lumières et de ténèbres ! Nous honorons trop l’esprit de M. Guizot pour croire à la bonne foi de cette proposition. Mais il doit maudire la fatalité d’une situation qui dégrade sa pensée jusqu’à de pareils paralogismes ; car enfin l’ambition du ministre n’a pas entièrement étouffé l’amour-propre du penseur, et c’est acheter trop cher la conservation ou la reprise du pouvoir, que de le payer au prix de l’honneur de son génie et de sa raison.

Le monde est partagé entre deux grandes affections, le regret et l’amour du passé, le pressentiment et la soif de l’avenir. Dans ces deux directions il y a de la sincérité, de la force et du talent ; dans ces deux directions, on peut se comprendre mutuellement et rencontrer des points de contact et d’harmonie. Mais toujours on est fidèle à son origine ; on porte l’empreinte de son baptême. Mais n’être ni dans le passé, ni dans l’avenir, ou plutôt partisan secret du passé, apporter à la cause du siècle, dont le génie est révolutionnaire, un hommage que le cœur dément, encenser le nom et les souvenirs de la révolution en lui déniant ses progrès nécessaires, évoquer par des prosopopées hypocrites les mânes de nos glorieux pères, et donner toujours le pas à l’imitation de la constitution britannique sur les idées françaises : en vérité, ce rôle n’est pas digne du talent et du caractère de M. Guizot. N’a-t-il pas l’ame d’un tory ? N’a-t-il pas au fond les mêmes passions politiques que le duc de Wellington ? Eh bien ! qu’il nous montre son ame et ses