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DU NOUVEAU MINISTÈRE ET DE LA NATION.

Le prédécesseur de M. Thiers, M. le duc de Broglie, avait une probité politique au-dessus de tout soupçon ; mais excellent dans la dissertation, il échoua dans le gouvernement, et ne montra ni dextérité pour les affaires, ni amour de notre grandeur. Personne ne refuse à M. Thiers une habileté vive et pénétrante ; mais il doit inspirer au pays une haute opinion de son dévouement à son honneur. Nous ne demandons pas à l’historien de la révolution française de se souvenir des chimères du traité de Tilsitt ; mais il peut avoir en mémoire les traditions de Campo-Formio. C’est l’occasion ou jamais, pour M. Thiers, de mettre d’accord sa politique et son histoire.

Le champ de la diplomatie n’a jamais été plus vaste, et le génie politique peut s’y déployer à l’aise. M. Thiers est au poste qu’a longtemps convoité son amour-propre ; nous souhaitons que ses longs désirs aient été l’indice d’une grande vocation. A-t-il fait son choix entre la Russie et l’Angleterre ? A-t-il un système qui puisse devenir pour la France une source de force et d’agrandissement ? Si M. Thiers peut montrer, dans six mois, à la nation, de notables résultats diplomatiques, il aura trouvé à son ministère la vitalité qui lui manque aujourd’hui.

La carrière politique a été depuis six ans si féconde en naufrages, le nombre des hommes un peu utiles à la patrie si restreint, qu’en vérité on est avide d’assister au succès de quelque chose et de quelqu’un. Nous n’avons aucune raison de désirer l’avortement du nouveau ministère : son président, quelles qu’aient été ses fautes antérieures, n’en est pas moins un homme nouveau, enfant de ses œuvres et de la presse démocratique. M. Thiers peut servir l’intérêt public en s’établissant avec fermeté au centre gauche de la chambre et de la nation. Quand il aura atteint le terme de la session sans avoir engagé de lutte ardente avec l’ancienne majorité, il pourra gouverner librement, et se présenter à la session nouvelle avec des résultats qui caractériseront son ministère en l’affermissant. M. Thiers peut avoir dans six mois une majorité nouvelle aussi unie que l’ancienne : le moment viendra pour lui d’appeler à ses côtés quelques hommes influens par l’esprit et la parole, comme M. Dupin et M. Villemain ; alors le ministère centre gauche sera vraiment constitué.

Nous ne saurions blâmer l’opposition de ne s’être pas précipitée