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THOMAS MORUS.

d’Angleterre. Sur tous les points du royaume ce double serment fut exigé de tous les sujets, et reçu par des commissaires royaux nommés à cet effet. Pour le clergé de Londres et de Westminster, la prestation du double serment se fit à Lambeth, sur la Tamise, dans le palais de l’archevêque de Cantorbéry, Cranmer, en présence de ce prélat, du lord chancelier Audley, du secrétaire Cromwell, de l’abbé de Westminster, assistés des commissaires royaux. Tous les évêques, abbés, prêtres, et un seul laïque, Thomas Morus, furent mandés à comparaître devant ce tribunal. Pour tout ce clergé, sauf Fisher, la séance était de pure formalité. Cet appareil de membres du conseil réunis aux commissaires n’avait pour objet que d’intimider les deux seuls récalcitrans, Fisher et Morus.

Le matin, avant de se rendre à Lambeth, il entendit la messe, et reçut le sacrement de l’eucharistie, comme c’était son usage dans les cas graves. Ses enfans et sa femme le reconduisaient d’ordinaire jusqu’au rivage, et ne le quittaient qu’après l’avoir vu monter dans le bateau ; ce jour-là, il voulut qu’ils demeurassent à la maison, et, fermant la porte derrière lui, il alla seul avec son gendre Roper. Quand il eut mis le pied dans le bateau, il dit à Roper, dans un mouvement de transport extatique : « Je remercie notre Seigneur, fils, le champ est gagné, » désignant par ce champ le ciel qu’il allait conquérir par le martyre. Roper, qui voulait toujours se tromper, interprétant cette parole en bien : « J’en suis charmé, monsieur, » dit-il. Peu après il comprit et s’attrista profondément.

Quand Morus fut arrivé devant les juges, il pria qu’on lui montrât la formule du serment. Après quelques momens de réflexion intérieure, il dit qu’il n’y trouvait rien à reprendre, et qu’il ne blâmait ni ceux qui l’avaient rédigée, ni ceux qui seraient disposés à s’y soumettre ; mais que, pour lui, il se regarderait comme en danger de mort éternelle s’il prêtait ce serment. On lui montra la liste de tous les grands personnages de la noblesse qui y avaient apposé leurs signatures. Il lut cette liste, mais ne changea rien à ses premières paroles. Alors on lui dit qu’il pouvait se promener dans le jardin ; pendant que le tribunal recevrait les sermens de toutes les personnes convoquées. On voulait lui donner le temps de se consulter.

On était en septembre, et il faisait une extrême chaleur. Morus,