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DE L’ESCLAVAGE AUX ÉTATS-UNIS.

ses pères, l’orgueilleuse sévérité de son esprit de famille. Afin de prévenir tout contact avec ces nations diverses, il les a flétries dans l’opinion.

Voilà comment la démocratie des États-Unis admet l’hérédité de l’infamie, en repoussant la transmission des honneurs par la naissance. On ne naît point noble dans ce pays ; mais on naît infâme ! C’est en vain que les lois accordent à l’affranchi tous les droits civils et politiques. Il ne lui est pas permis d’en faire usage. La séparation des races se retrouve partout : dans les écoles, les églises, les spectacles, les promenades, les hôpitaux, les prisons, et jusque dans le cimetière.

Lorsqu’une majorité blanche nomme exclusivement les législateurs et les magistrats, il est impossible que les lois ou les mœurs ne créent pas toute espèce d’obstacles à ce que les esclaves et leurs descendans fassent partie de cette souveraineté omnipotente. Autrement, la durée de l’esclavage dépendrait de l’accroissement de l’une des deux populations exploitante ou exploitée. La victoire serait réservée au nombre, c’est-à-dire aux plus féconds. Les planteurs se gardent bien d’admettre un pareil arbitrage, qui, cependant, pourra résulter, tôt ou tard, de la force des choses.

La condition des nègres américains est soumise aux mêmes nécessités générales qui accablent les mulâtres. Ils sont retenus dans leur existence dégradée par des mesures préventives et des lois pénales, dont la cruauté augmente à mesure qu’ils deviennent plus nombreux, plus à craindre, et qu’on redoute davantage l’entraînement des institutions libres qu’ils ont sous les yeux. La peur s’accroît avec le danger, et le danger par la peur, car les pouvoirs qui tremblent sont toujours tyranniques, et les noirs seront bientôt une formidable nation. Ce qui se passe à cet égard aux États-Unis a été remarqué par Montesquieu dans le monde romain : « Les maîtres vivaient d’abord, travaillaient et mangeaient avec leurs esclaves ; ils avaient pour eux beaucoup de douceur et d’équité. Les mœurs suffisaient pour maintenir la fidélité des esclaves ; il ne fallait point de lois. Mais lorsque Rome se fut agrandie, que les esclaves ne furent plus les compagnons du travail de leurs maîtres, mais les instrumens de leur luxe et de leur orgueil, il fallut des lois terribles pour établir la sûreté de ces maîtres cruels, qui vivaient au milieu de leurs esclaves comme au milieu de leurs ennemis. »

Le sort de l’esclave ne dépend pas seulement des mœurs et des institutions de ses maîtres, mais des travaux plus ou moins pénibles de l’industrie à laquelle on le soumet.

Chez les peuples pasteurs, par exemple, il a beaucoup de loisirs. On ne peut le réduire à d’excessives fatigues pour satisfaire des besoins qui n’existent pas. Après la garde des troupeaux, le service personnel est ordinairement le moins rude état imposé à l’esclave. Les douceurs de l’existence du maître s’étendent toujours un peu sur ceux qui habitent avec lui.