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REVUE. — CHRONIQUE.

Nous disions que la situation de M. Thiers offre un certain intérêt, et on ne peut, en effet, le suivre sans émotion dans la lutte silencieuse qu’il soutient contre tous les côtés de la chambre et contre ses collègues. Ce n’est pas tout d’avoir à combattre les essais de réforme et les idées plus philanthropiques que politiques de M. Passy, que d’avoir à renier et à replâtrer les projets de loi de M. d’Argout, que de se débattre contre la gauche qui veut l’entraîner, contre le centre droit qui veut le réduire, il faut encore, et c’est là le point difficile, que M. Thiers soutienne, dans les bureaux de la chambre, une lutte perpétuelle, acharnée, contre les doctrinaires, et que là il défende pas à pas le terrain que lui disputent ces actifs et persévérans adversaires. Les doctrinaires se sont cantonnés dans les bureaux qu’ils ont envahis ; ils forment les commissions, ils formulent à leur gré les rapports, et tiennent ainsi le ministère sous leur main, soit qu’ils lui accordent avec hauteur ses demandes, soit qu’ils l’arrêtent dans sa marche par des refus. Ainsi, on se rappelle que M. Thiers demanda, il y a deux ans, un crédit de 100 millions pour une multitude de travaux publics qui étaient en souffrance. 80 millions furent accordés ; mais la commission de la chambre exigea du ministre l’assurance que ces fonds étaient suffisans pour terminer les travaux énoncés dans l’exposé des motifs. M. Thiers, alors ministre de l’intérieur, déclara qu’il avait fait lui-même les calculs, vérifié les devis, relevé tous les chiffres, et qu’il se portait garant de l’exécution des travaux, sans demande ultérieure de crédits supplémentaires. Sur cette promesse, cet immense crédit fut voté ; mais aujourd’hui, M. de Montalivet, nouveau ministre de l’intérieur, se trouvant dépourvu de fonds pour continuer les travaux, qui sont loin d’être terminés, comme on peut le voir par l’arc de l’Étoile, le bâtiment du quai d’Orsay et la Madeleine, M. de Montalivet demande à la chambre un premier crédit supplémentaire de 5 millions. Or, la commission chargée d’examiner cette demande se trouve composée, par hasard sans doute, de MM. Bessières, J. Lefebvre, Piscatory, Augustin Giraud, Jaubert, de Montépin et Raguet-Lépine, tous plus ou moins doctrinaires, et à qui on a adjoint, par civilité, MM. Talabot et Edmond Blanc. Nous croyons savoir que la conclusion du rapport sera favorable au ministère, le crédit sera accordé, mais en considération de M. de Montalivet, qui n’a pas fait de promesses, et on lui fera acheter ces 5 millions au prix de dures humiliations qui porteront sur M. Thiers.

Mais ce n’est pas seulement dans les bureaux et dans les couloirs de la chambre, que le président du conseil est poursuivi par les reproches et tracassé par les manœuvres de ses anciens amis les doctrinaires et leurs adhérens ; chez lui, dans son salon, à sa cheminée et à sa table, il les retrouve menaçans comme l’ombre de Banquo. On ne lui fait grace qu’à la tribune, la conciliation n’est que là, la paix n’a lieu que sur cette étroite dalle de marbre ; partout ailleurs la guerre est allumée, sur les marches même de la tribune on se parle avec aigreur, et l’on s’attaque avec violence. On cite une discussion très vive et peu parlementaire, qui a eu lieu, dimanche dernier, à la soirée du ministère des affaires étrangères,