Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/265

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

villes conquises, avaient fait joindre à ces fonctions de juge des attributions militaires et un pouvoir dictatorial dont abusaient presque toujours, soit par violence de caractère, soit par calcul personnel, les hommes qui l’exerçaient au nom des rois franks. C’était comme une sorte de proconsulat barbare, superposé dans chaque ville importante aux anciennes institutions municipales, sans qu’on eût pris aucun soin de le régler de manière à ce qu’il pût s’accorder avec elles. Quoique affaiblies et dégradées, ces institutions suffisaient encore au maintien du bon ordre et de la paix intérieure ; et les habitans des cités gauloises éprouvaient plus de terreur que de joie quand une lettre royale venait leur notifier la venue d’un comte envoyé pour les régir selon leurs coutumes, et faire à chacun bonne justice. Telle fut sans doute l’impression produite à Tours par l’arrivée de Leudaste ; et la répugnance des citoyens contre leur nouveau juge ne pouvait qu’augmenter de jour en jour. Il était sans lettres, sans aucune connaissance des lois qu’il avait mission d’appliquer, et même sans cet esprit de droiture et d’équité naturelle qui se rencontrait du moins sous une écorce grossière chez les grafs des cantons d’outre-Rhin.

Formé d’abord aux mœurs de l’esclavage et ensuite aux habitudes turbulentes des vassaux de la maison royale, il n’avait rien de cette vieille civilisation romaine avec laquelle il allait se trouver en contact, si ce n’est l’amour du luxe, de la pompe et des jouissances matérielles. Il se conduisit en effet dans son nouvel emploi comme s’il ne l’avait reçu que pour lui-même et pour la satisfaction de ses instincts désordonnés. Au lieu de faire régner l’ordre dans la ville de Tours, il y sema le trouble par ses emportemens et ses débauches. Il se montrait violent et hautain envers les hommes, d’un libertinage qui ne respectait aucune femme, d’une rapacité qui passait de bien loin ce qu’on avait vu de lui jusque-là[1]. Il mettait en œuvre tout ce qu’il avait de ruse dans l’esprit pour susciter aux personnes riches des procès injustes dont il devenait l’arbitre, ou leur intenter de fausses accusations et se faire un profit des amendes qu’il partageait avec le fisc. À force d’exactions et de pillage, il accrut rapidement ses richesses, et accumula dans sa maison beau-

  1. Ibique se amplius honoris gloriosi supercilio jactas ; ibi se exhibet rapacem prædis, turgidum rixis, adulteriis lutulentum. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 261.)