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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

Neustrie ; mais son affection bien connue pour la famille de Sighebert alarmait quelquefois Hilperik, toujours inquiet sur la possession de la ville de Tours, sa conquête, et la clé du pays qu’il voulait conquérir au sud de la Loire. Ce fut sur ces dispositions ombrageuses du roi que Leudaste fonda ses espérances d’anéantir le crédit de l’évêque, en le rendant de plus en plus suspect, et en se faisant regarder lui-même comme l’homme nécessaire à la conservation de la ville, comme une sentinelle avancée toujours sur le qui vive, et en butte, à cause de sa vigilance, à des préventions haineuses et à des inimitiés sourdes ou déclarées. C’était pour lui le plus sûr moyen de s’assurer une impunité absolue, et de trouver des occasions de molester à plaisir, sans paraître sortir de son droit, l’évêque son plus redoutable antagoniste.

Dans cette guerre d’intrigue et de petites machinations, il avait parfois recours aux expédiens les plus fantasques. Quand une affaire exigeait sa présence à la maison épiscopale, il s’y rendait armé de toutes pièces, le casque en tête, la cuirasse au dos, le carquois en bandoulière, et une longue pique à la main, soit pour se donner des airs terribles, soit pour faire croire qu’il y avait péril d’embûches et de guet-apens dans cette maison de paix et de prières[1]. En l’année 576, lor que Merowig, passant par Tours, lui enleva tout ce qu’il possédait en argent et en meubles précieux, il prétendit que le jeune prince ne s’était livré à ce pillage que d’après le conseil et à l’instigation de Grégoire[2]. Puis tout à coup, par inconséquence de caractère, ou à cause du mauvais succès de cette imputation sans preuves, il essaya de se réconcilier avec l’évêque, et lui jura, par le serment le plus sacré, en tenant à poignée le tapis de soie qui couvrait le tombeau de saint Martin, que de sa vie il ne ferait plus aucun acte d’inimitié contre lui[3].

  1. In tali levitate elatus est, ut in domo ecclesiæ cum thoracibus atque loricis, præcinctus pharetrâ, et contum manu gerens, capite galeato ingrederetur. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 261.)
  2. Discedente autem Merovecho, qui res ejus diripuerat, nobis calumniator exsistit, adsereus fallaciter Merovechum nostro usum consilio, ut res ejus auferret. (Ibid.) — Voyez la troisième de ces Lettres, 15 juillet 1834.
  3. Sed post inlata damna, iterat iterum sacramenta, pallamque sepulcri beati Martini fidejussorem donat, se nobis numquam adversaturum. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 262.)