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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

à l’esprit que l’évêque, dont la popularité lui faisait peur, pourrait bien, de son côté, avoir peur de la puissance royale et essayer de se soustraire par la fuite aux chances redoutables d’une accusation de lèse-majesté. Cette idée, qui lui parut lumineuse, devint la base de son plan d’attaque et le texte des ordres confidentiels qu’il fit partir en diligence. Il les adressa au duc Bérulf, qui, investi en vertu de son titre, d’un gouvernement provincial, commandait en chef à Tours, à Poitiers, et dans plusieurs autres villes récemment conquises, au sud de la Loire, par les généraux neustriens[1]. Bérulf, selon ces instructions, devait se rendre à Tours sans autre but apparent que celui d’inspecter les moyens de défense de la ville. Il lui était enjoint d’attendre, sur ses gardes et dans une dissimulation complète, l’instant où Grégoire, par quelque tentative d’évasion, se compromettrait ouvertement et donnerait prise contre lui.

La nouvelle du grand procès qui allait s’ouvrir venait d’arriver à Tours officiellement confirmée, et grossie, comme cela ne manque jamais, d’une foule d’exagérations populaires. Ce fit sur l’effet probable de ces bruits menaçans que le confident du roi Hilperik compta principalement pour la réussite de sa mission. Il se flattait que cette sorte d’épouvantail allait servir, comme dans une chasse, à traquer l’évêque et à le pousser à une fausse démarche qui le mènerait droit au piége. Bérulf entra dans la ville de Tours et en visita les remparts comme il avait coutume de le faire dans ses tournées périodiques. Le nouveau comte Eunomius l’accompagnait pour recevoir ses observations et ses ordres. Soit que le duc Frank laissât deviner son secret à ce Romain, soit qu’il voulût aussi le tromper lui-même, il lui annonça que le roi Gonthramn avait dessein de s’emparer de la ville par surprise ou à force ouverte, et il ajouta « Voici le moment de veiller sans relâche ; pour qu’aucune négligence ne soit plus à craindre, il faut que la place reçoive garnison[2]. » À la faveur de cette fable et de la terreur aussitôt répandue d’un péril imaginaire, des troupes de soldats furent intro-

  1. Adrian. Vales. rerum francic. lib. x, pag. 119.
  2. Berulfus dux cum Eunomio comite fabulam fingit quòd Guntchramnus rex capere vellet Turonicam civitatem : et idcircò ne aliqua negligentia accederet, oportet, ait, urbem custodia consignari. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 262.)