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enfance[1]. Volontairement descendue au rang de simple religieuse, Radegonde faisait sa semaine de cuisine, balayait à son tour la maison, portait de l’eau et du bois comme les autres. Mais malgré cette apparence d’égalité, elle était reine dans le couvent par le prestige de sa naissance royale, par son titre de fondatrice, par l’ascendant de l’esprit, du savoir et de la bonté[2]. C’était elle qui maintenait la règle ou la modifiait à son gré, elle qui raffermissait les ames chancelantes par des exhortations de tous les jours, elle qui expliquait et commentait pour ses jeunes compagnes le texte de l’Écriture sainte, entremêlant ces graves homélies de petits mots empreints d’une tendresse de cœur et d’une grace toute féminine : « Vous, que j’ai choisies, mes filles ; vous, jeunes plantes, objet de tous mes soins ; vous, mes yeux, vous, ma vie, vous, mon repos et tout mon bonheur[3]… »

Il y avait déjà plus de quinze ans que le monastère de Poitiers attirait sur lui l’attention du monde chrétien, lorsque Venantius Fortunatus, dans sa course de dévotion et de plaisir à travers la Gaule, le visita comme une des choses les plus remarquables que pût lui offrir son voyage. Il y fut accueilli avec une distinction flatteuse ; cet empressement, que la reine avait coutume de témoigner aux hommes d’esprit et de politesse, lui fut prodigué comme à l’hôte le plus illustre et le plus aimable. Il se vit comblé par elle et par l’abbesse de soins, d’égard, et surtout de louanges. Cette admiration, reproduite chaque jour sous toutes les formes, et distil-

  1. Electione etiam nostræ congregationis domnam et sororem meam Agnetem, quam ab ineunte ætate loco filiæ colui et educavi abbatissam institui, ac me post Deum ejus ordinationi regulariter obedituram commisi. (Ibid. Ruinart, pag. 472.)
  2. Nos vero humiles desideramus in ea doctrinam, formam, vultum, personam, scientiam, pictatem, bonitatem, dulcedinem, quam specialem à Domino inter ceteros homines habuit. (Vita S. Radegundis, auctore Baudonivia, apud Acta sanctorum Augusti, tom.  iii, pag. 81) — Sur la science et les lectures de sainte Radegonde, voyez les poésies de Fortunat. Elle lisait assiduement saint Grégoire de Nasianze, saint Basile, saint Athanase, saint Hilaire, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin, Sedulius et Paul Orose. (lib. v, carm. 1.)
  3. Nobis dum prædicabat dicebat : Vos elegi filias, vos mea lumina, vos mea vita, vos mea requies, totaque felicitas, vos novella plantatio… (Vita S. Radegundis, auctore Baudonivia, apud Acta sanctorum Augusti, tom.  iii, pag. 77.)