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timens, qui tiennent de près aux habitudes de notre temps. J’aurais préféré qu’il transportât les caractères et les opinions qu’il voulait développer et mettre aux prises, dans la révolution française ; quoiqu’il y eût en Angleterre, du temps de Charles I, des incrédules comme Markam, des prophétesses comme Marie, la forme que ces esprits-forts ou ces prophétesses donnaient à leurs sentimens était restreinte, particulière et d’un point de vue qui ne répond guère à nos préoccupations chrétiennes et palingénésiques actuelles. Cette critique une fois faite il n’y aurait qu’à louer l’auteur pour bien des détails pleins d’élévation, de profondeur et de finesse sur l’ame humaine, ses passions et ses douleurs. « À mesure qu’il s’avance dans la vie, l’homme s’enferme dans le silence : l’expérience et le désespoir prennent de concert leur demeure en lui ; bientôt il conçoit comme une nécessité l’absence du but et du remède, etc. »

Et ailleurs : « Pour les hommes arrivés à l’été de la vie, soit par l’âge, soit par le nombre et la force des émotions passées, l’amour est une crise qui a son cours comme la fièvre, et dont on peut attendre passivement la fin de l’accès avec la certitude de le voir se terminer. » On s’attache au caractère de Markam, de cette ame hautaine, qui savait mieux renfermer la douleur que la supporter. L’auteur de Visions et Réalités en continuant dans d’autres tableaux le développement qu’il nous promet, n’a qu’à insister davantage sur ce point de vue de réalité morale qu’il a déjà en partie abordé heureusement, et dont il semble avoir acquis une vraie expérience. Je voudrais, par exemple, qu’il mît en lumière avec moins de solennité le côté d’observation que représentent Markam ou Fenwich, et qu’il n’isolât plus toutes les consolations et tous les correctifs dans un être à part, sous forme de visions ; en lui conseillant de se rabattre davantage à la réalité, et de moins trancher ses points de vue, on est sûr qu’il gardera toujours l’élévation.


La Correspondance inédite de Camille Desmoulins[1] renferme de nombreuses et intéressantes particularités sur les personnages de la révolution, Mirabeau, Brissot, Robespierre. Les grands évènemens de 89 et de 90, racontés au fur et à mesure par Camille Desmoulins, qui écrit à son père, se peignent avec une naïveté nouvelle et s’entremêlent de piquans détails domestiques sur la pauvreté et le genre de vie de Camille. On comprend bien, à la lecture de ces pages, comme si on y avait assisté, l’existence du journaliste patriote, exalté, pauvre, influent, populaire, bon enfant même dans ses entraînemens de violence. Lorsqu’à la célébration de son mariage, en janvier 91, on lui voit pour témoins l’élite de

  1. Ebrard, rue des Mathurins-Saint-Jacques, 14.