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POÈTES ÉPIQUES.

tion où leurs sentimens étaient de quelque poids, on trouve qu’ils furent presque tous ou neutres ou contraires. Jamais Herder ni Schiller n’inclinèrent vers l’opinion nouvelle. Gœthe s’en railla ouvertement ; Voss fit long-temps de son opposition un secret de famille, mais il l’avoua à la fin. En Angleterre, la théorie allemande fut attaquée par le poète Coleridge. En France, elle ne fut ni acceptée, ni défendue, ni combattue avec éclat. La France de 1795 avait assez à faire de ses propres ruines ; elle n’en cherchait point d’autres.

Bien des années se passèrent avant qu’aucune réaction se fit sentir parmi les érudits. Si la marche des vrais poètes ne fut pas sérieusement modifiée par le système nouveau, ce n’est pas la faute de la critique, qui en fit à l’art de nombreuses applications. Il est certain que la critique grecque étant entièrement fondée sur l’idée de l’unité d’Homère, toute la poétique des anciens fut renversée en un moment. Ce fut la première fois que leurs lois littéraires étaient sérieusement menacées par la base. On avait ainsi obtenu un double résultat. On avait changé à la fois l’histoire et la théorie, c’est-à-dire le passé et l’avenir. Ce résultat s’accordait merveilleusement avec les hardiesses d’un art nouveau, qui paraissait surgir de toutes parts. Pour ruiner Aristote, on avait trouvé la vraie voie ; on avait détrôné Homère.

Cependant, lorsque l’hypothèse de Wolf eut parcouru toutes ses phases, il fallut s’arrêter ; ce système tant vanté présentait lui-même d’insurmontables difficultés qui commencèrent à éclater. De nos jours, quelques-uns de ses plus ardens défenseurs n’hésitent pas à l’abandonner, et à se mettre du côté de ses adversaires ; on revient à Homère par l’impossibilité de rien résoudre sans lui. Avec la théorie de Wolf beaucoup d’autres chancellent et vont tomber d’une chute commune. Celle de Niebuhr, par exemple, sur les premiers temps de Rome n’est guère assise sur une base plus solide ; et le temps approche, j’en ai peur, où le sol va être jonché de ces triomphantes hypothèses qui, partout mettant des forces abstraites à la place des personnalités humaines, abolissaient partout la vie dans l’histoire et dans l’art.