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ii.

Avant que les vers d’Homère parvinssent jusqu’à nous, ils ont traversé un certain nombre de vicissitudes dont l’histoire ferait seule une longue Odyssée. On rencontre d’abord, dès l’origine, ce mystérieux nom d’Homère. Après lui surviennent des générations d’hommes appliqués seulement à transmettre ses chants. Ce sont les homérides, les aœdes, les rhapsodes, puis les scholiastes et les grammairiens d’Alexandrie. Chacun de ces noms désigne des conditions très différentes. Les homérides, qui se glorifiaient d’être de la famille d’Homère, étaient une dynastie de poètes qui prétendaient avoir hérité de ses chants, et se les transmettaient les uns aux autres. Ils avaient gardé eux-mêmes une partie de l’inspiration des temps héroïques. La même chose peut être dite des aœdes. Les rhapsodes qui les suivirent se bornèrent peu à peu à l’étude du chant ou de la déclamation. C’est de leur bouche, dit-on, que Pisistrate fit recueillir les poésies homériques. Mais ce qu’il fit pour l’Attique, d’autres villes le firent, sans doute, pour leur propre compte, et rien ne prouve que les éditions de Marseille, de Chio, d’Argos, de Sinope, de Chypre et de Crète, aient été copiées sur la sienne. Les diaskeuastes formèrent le lien entre les rhapsodes et les grammairiens d’Alexandrie. Le texte d’Homère fut alors fixé ; les rois de Macédoine et d’Égypte le commentèrent à leur tour, et il y a des hommes de ce temps-là, dont le nom est immortel, seulement parce qu’ils y ont déplacé un accent. Jusqu’au dernier moment l’antiquité se tient ainsi courbée, comme un scribe, sur le texte d’Homère. Quand à la fin les Bysantins tournèrent la page, ils y trouvèrent l’Évangile.

Maintenant, si l’on se représente les altérations de tout genre que ces poèmes ont dû subir en passant par tant de mains, au lieu de s’étonner de la discordance de quelques parties avec l’ensemble, on admirera bien plutôt que ces incohérences ne soient pas plus nombreuses. Pour moi, toutes les fois que je réfléchis à ce mode de transmission par le chant, aux fantaisies des rhapsodes, à la variété et à la lutte des états, à l’orgueil des villes, intéressées à falsifier à leur guise le récit du poète, surtout, à cet espace si périlleux à traverser de la tradition orale à l’écriture ; puis, après cela, aux